(Mars 2018)
Les impacts du réchauffement climatique au Groenland ces dernières années font émerger un nouvel enjeu environnemental : la pollution qui pourrait potentiellement provenir d’un site militaire, base américaine en l’occurrence abandonnée depuis plus de cinquante ans[1].
Les États-Unis, suite à un accord avec le Danemark, ont édifié à partir de 1953 cinq bases secrètes sur quatre sites au Groenland (au nord et à l’est de Thulé) qui devaient préfigurer un réseau de sites de lancement de missiles balistiques nucléaires. Le projet, nommé Iceworm, a ainsi conduit à la construction de « Camp Century » (à 240 km à l’est de Thulé), comprenant 3 km de tunnel, une ligne de chemin de fer, des quartiers d’habitation, un magasin, un hôpital. « Camp Century » hébergeait 200 personnes.
Abandonnée en 1967, cette base abrite[2] toujours des dizaines de milliers de litres de carburant, des déchets radioactifs (un réacteur nucléaire mobile a été utilisé pour produire l’électricité du site), et une quantité qualifiée de « substantielle » (cf. Jeff Colgan, 2018, ci-après) mais non évaluée de polychlorobiphényle (PCB), ainsi que 24 millions de litres de déchets biologiques et d’eaux usées provenant de la vie du camp.
Alors que la neige et la glace qui recouvraient ces infrastructures ne devaient jamais disparaître, le changement climatique, qui affecte l’ensemble des glaciers groenlandais, va rendre apparent certaines parties du site.
Jeff Colgan, professeur associé en science politique à la Brown University (États-Unis), avec un article consacré à Camp Century, ajoute une nouvelle dimension à la littérature consacrée à la diplomatie des bases militaires : le changement climatique. Selon l’auteur, le cas de Camp Century soulève trois questions concrètes :
- À quel horizon ces infrastructures et ces polluants seront-ils exposés à la surface ? Il y a de plus des incertitudes relatives au conditionnement de ces polluants et à leurs conditions de stockage (profondeur…).
- Quels polluants, et en quelle quantité, seront exposés ?
- Quels sont les risques de diffusion de ces polluants en dehors du site ?
Cet exemple montre à nouveau l’intérêt d’intégrer les effets du changement climatique dans les politiques de gestion des camps et infrastructures militaires à différents horizons, et tout particulièrement pour les emprises ultramarines et basées à l’étranger[3].
Pour les États-Unis, qui disposent de centaines de sites militaires hors métropole, les enjeux dans la durée entre infrastructures et changement climatique sont de différentes natures :
- Responsabilité juridique et financière de la dépollution, et des dégâts (humains, environnementaux…) que des polluants pourraient entraîner.
- Qualité de la relation politique et militaire avec le pays hôte des emprises. Dans le cas de Camp Century, le différend peut être interétatique (Danemark, États-Unis). Mais les contestations peuvent également provenir des communautés autochtones. Le cas d’espèce est rendu plus complexe par les perspectives d’indépendance du Groenland.
[1] Voir également le Bulletin de veille n°8 de l’Observatoire du changement climatique (mars 2018).
[2] Jeff D. Colgan, « Climate Change and the Politics of Military Bases », Global Environmental Politics, Volume 18, Issue 1, February 2018, pp. 33-51 – https://www.mitpressjournals.org/doi/full/10.1162/GLEP_a_00443
[3] Brown University, « Effects of climate change can complicate the politics of military bases », ScienceDaily, ScienceDaily, 5 February 2018 – www.sciencedaily.com/releases/2018/02/180205113031.htm