La politique maritime japonaise des océans se focalise sur la dimension stratégique des enjeux océaniques
Le Centre pour la politique des Océans du Japon valorise la dimension stratégique des enjeux maritimes. L’intérêt pour l’Arctique est conforté par plusieurs partenariats avec la Russie.
Le Premier ministre japonais Shinzo Abe a présidé, au mois de juin 2019, la 18ème réunion du Centre pour la politique des océans (海洋政策本部 Headquarter for Ocean Policy) créé en 2015 au sein du cabinet pour dynamiser la stratégie maritime du Japon. On note une évolution dans le discours, de plus en plus ouvertement focalisé sur les enjeux stratégiques, au-delà de la dimension économique plus traditionnelle.
D’une manière globale, la commission souligne la nécessité d’adopter une vision « totale » (Comprehensive) des enjeux liés aux océans, et notamment des enjeux de sécurité, en insistant notamment, dans l’optique de mieux défendre les îles inhabitées ou éloignées du territoire, sur le renforcement des systèmes d’observation du domaine maritime.[1]
Dans ce cadre, la stratégie du Japon en direction de l’Arctique a fait l’objet d’une attention particulière.[2] La mise en œuvre de la première « politique pour l’Arctique » publiée en 2015 s’inspire des mêmes priorités, clairement tournées vers les questions de sécurité et d’observation, plus que vers les possibles retombées économiques de l’ouverture de la route du Nord.
L’argument économique, qui ne convainc pas véritablement les entreprises japonaises, laisse de plus en plus ouvertement la place aux enjeux stratégiques face aux ambitions chinoises. Par ailleurs, dans une volonté manifeste de rapprochement avec la Russie, le Japon insiste également sur le respect du droit international de la mer prenant en compte les inquiétudes des pays riverains. Cette volonté de coopération avec la Russie a été également exprimée au G20 à Osaka au mois de juillet 2020. Le Premier ministre Abe, lors de son entretien avec le Président Poutine, a officiellement donné son accord au projet de coopération LNG 2 dans l’Arctique auquel participent deux entreprises japonaises.[3]
L’Arctique est désormais qualifiée de « nouvelle frontière ». La faisabilité d’un nouveau brise-glace destiné à l’observation du milieu dans l’Arctique est à l’étude.
Pour répondre aux besoins d’observation, la commission s’appuie sur la dernière version de la politique du Japon pour les océans (Ocean policy) qui prévoit – y compris dans la zone arctique – une meilleure couverture radar ainsi que des satellites de surveillance. Là encore, la volonté de répondre aux ambitions chinoises constitue un facteur important.
Perception chinoise de la proposition américaine d’achat du Groenland
L’intérêt chinois pour le grand Nord est renforcé par le lancement en septembre 2019 d’un premier satellite (sur une constellation de 24) qui permettra l’observation de l’Arctique.
L’annonce par tweet du président américain concernant le possible achat du Groenland par les États-Unis a été perçue comme une provocation peu sérieuse. En réalité, elle s’inscrit dans une véritable préoccupation – pas uniquement pour les États-Unis – concernant l’influence et le rôle de la Chine au Groenland, qui jouit d’une très large autonomie en dehors des questions de sécurité, qui impliquent le gouvernement danois.
En 2017, le Premier ministre du Groenland, Kim Kielsen, s’était rendu en Chine, espérant que son territoire – riche en minerai et en énergie – pourrait tirer parti du réchauffement climatique et des projets de « route de la soie de l’Arctique » mis en avant par pékin.
Dans ce cadre, qui prévoit la construction d’infrastructures de connectivité, en 2018, une compagnie d’État chinoise, la China Communication Construction Company (CCCC), avait remporté un contrat pour construire un aéroport à Nuuk et Ilulissat. Ces contrats ont été dénoncés en 2019 au nom d’impératifs de sécurité et sous la pression des États-Unis. Le Danemark et désormais le seul acteur en lice.[4]
Le Groenland occupe en effet une position stratégique d’observation et d’alerte avancée dans le cadre de la défense antimissile, pour les forces américaines, qui y possèdent la base aérienne de Thulé.
L’inquiétude suscitée par l’intérêt de la Chine pour le Groenland, encouragé par le gouvernement groenlandais, a été renforcée par le projet chinois de lancement – au mois de septembre 2019 – d’un premier microsatellite d’observation « du climat et de l’environnement de l’Arctique » de « haute résolution ».[5] Le satellite est pourvu d’un système d’identification automatique de tous les bâtiments croisant dans l’Arctique. Il a été conçu par l’université normale de Pékin, construit par la Dongfeng Shenzhen aerospace, et opéré par la China University Corporation Polar Research Company, l’ensemble étant au cœur du système d’intégration civilo-militaire de la RPC. Selon l’agence Xinhua, il s’agit pour Pékin de réduire la dépendance de la Chine, en matière d’observation, vis-à-vis d’autres puissances et le satellite devrait faire partie d’une constellation de 24 satellites permettant une observation en continue 24/7.
4ème Dialogue trilatéral de haut niveau sur l’Arctique
Malgré des différends politiques nombreux, la Corée, le Japon et la Chine organisent annuellement, depuis 2016, un dialogue trilatéral sur l’Arctique afin de partager leurs positions respectives.
La ville coréenne de Busan a accueilli fin juin la quatrième édition du Dialogue trilatéral de haut niveau sur l’Arctique, une initiative lancée en 2015 suite au 6ème Sommet Corée-Japon-Chine. Cette plate-forme de discussion permet aux trois pays de présenter leurs différentes positions, et une déclaration commune avait été adoptée l’année dernière[6]. La Corée a tenu à l’organisation, la veille, d’un groupe trilatéral d’experts de l’Arctique afin d’identifier des domaines potentiels de coopération. Y participaient notamment, côté coréen, le Korea Polar Research Institute (KOPRI) et le Korea Maritime Fisheries Development Institute (KMI). Les chefs de délégation respectifs étaient Park Heung-kyeong, Ambassadeur coréen pour les affaires arctiques, Yamamoto Eiji, Ambassadeur japonais chargé des affaires arctiques, et Gao Feng, Représentant spécial chinois pour les affaires arctiques.
3ème Consultation bilatérale entre la Corée et la Russie sur l’Arctique
Suite à une décision prise lors du sommet présidentiel de Vladivostok en 2017, les deux pays échangent régulièrement sur les questions arctiques alors que la coopération sur la « route maritime du Nord » est une des neuf priorités coréennes dans la relation économique bilatérale.
Une troisième consultation bilatérale a été organisée à Séoul, le 3 juillet dernier, la mise en œuvre d’une décision prise lors du sommet présidentiel de Vladivostok, en septembre 2017. L’Ambassadeur coréen pour les affaires arctiques, Park Heung-kyeong, a rencontré son homologue russe, l’Ambassadeur itinérant Victorovich Korchunov, et les deux pays coopèrent notamment en matière de construction navale et de sciences arctiques. La relation Corée-Russie est entre autres structurée à Séoul par la « Stratégie des neuf ponts » qui comprend neuf domaines : le gaz, le rail, les activités portuaires, l’électricité, la route maritime du Nord, la construction navale, l’industrie, l’agriculture, et la pêche. Notons que la coopération sur la route maritime arctique vise non pas tant le développement des infrastructures physiques, mais la construction de navires dédiés à emprunter la route maritime du Nord.
L’Allemagne cherche à renforcer son rôle en Arctique et défend la coopération dans la région
Le mois d’août 2019 a été marqué par deux visites allemandes notables dans la région Arctique. Le ministre des Affaires étrangères allemand, Heiko Maas, s’est rendu les 14 et 15 août 2019 dans l’Arctique canadien, tandis que la chancelière allemande Angela Merkel a participé le 20 août à la réunion annuelle du Conseil nordique pour discuter de la question climatique en Islande. Une nouvelle feuille de route allemande en Arctique a été publiée le 21 août.
Lors de son discours d’ouverture pour la 17ème conférence des Ambassadeurs le 26 août, le ministre des Affaires étrangères allemand, Heiko Maas, débuta son discours en faisant mention de sa visite récente en Arctique où il a pu voir directement les effets du changement climatique. Ceci illustre la volonté du gouvernement allemand de renforcer son rôle en Arctique dû à l’urgence climatique. De même, la visite de la chancelière a fait suite à la cérémonie commémorative de la mort du glacier Okjokull qui a disparu après 700 ans d’existence. Dans ce contexte, le ministère des Affaires étrangères allemand a publié de nouvelles lignes directrices pour la politique arctique de l’Allemagne le 21 août 2019. C’est seulement la deuxième fois que de tels objectifs communs pour l’Allemagne ont été développés. La première fois était en 2013, dans le contexte plus large de la politique de l’Union européenne pour l’Arctique. Les lignes directrices de 2019 reprennent les 3 points majeurs déjà énoncés en 2013 à savoir : les standards de protection environnementale mondiale, le soutien allemand en expertise scientifique et en développement technologique, ainsi que l’intégration des intérêts arctiques dans la politique de l’Union européenne. La ligne directrice de 2019 sur la protection de l’environnement prend désormais en compte les accords de Paris pour le climat. Néanmoins, les lignes directrices de 2019 diffèrent de celles de 2013 car elles insistent beaucoup sur la préservation de la région comme un espace dépourvu de tout conflit, et sur l’engagement sécuritaire au sein de l’Union européenne et de l’OTAN. Enfin, le document donne une importance particulière au renforcement de la coopération multilatérale. Un deuxième volet a notamment été ajouté intitulé « Assumer sa responsabilité, créer de la confiance et façonner l’avenir », selon lequel il existe une responsabilité commune de tous les acteurs dans cette région sensible. Cet intitulé est également le sous-titre du document de 2019.
Le document promeut de manière audacieuse sur un plan diplomatique l’application du principe du pollueur-payeur en Arctique. Ce principe est déjà appliqué dans l’Atlantique-Nord dans le cadre de la Convention pour la protection du milieu marin de l’Atlantique du Nord-Est (OSPAR), dont l’environnement est le seul objet. Mais le principe pollueur-payeur est loin de susciter l’unanimité parmi les États de l’Arctic 8. De même, la première définition de l’espace arctique en début de document est originale, car elle n’est pas géographique mais physique : « L’Arctique se caractérise principalement par la fonte et le gel ».
Les autres développements apparaissent plus classiques (gouvernance, peuples autochtones…), voire prudents, par exemple sur la liberté de navigation, ou les liens avec l’Union européenne, cette dernière ne faisant pas l’objet d’une partie dédiée. En matière de défense, la publication « prône le maintien d’un caractère clairement défensif de toute mesure militaire afin de prévenir une militarisation accrue de la région arctique ».
Le développement difficile d’une politique arctique européenne convaincante
Le Policy Brief du Collège de l’Europe appelle à un dépassement des précédentes déclarations européennes sur sa politique Arctique, qui ont consisté jusqu’alors en « une agrégation d’actions existantes enveloppées dans une rhétorique de haut niveau ».
L’Arctic Institute, très critique dans ses derniers articles commentant les déclarations de l’Union européenne relatives à sa politique arctique, revient à la charge avec la publication « The EU’s Arctic Policy: Between Vision and Reality ». Ce College of Europe Policy Brief (CEPB) traite, en réponse à la note stratégique « Walking on Thin Ice: A Balanced Arctic Strategy for the EU », de la question de la nécessité d’une nouvelle déclaration commune européenne qui se différencierait des précédentes. Il identifie la position européenne et son « Arcticness » depuis 2007-2008 comme intégrant l’UE dans l’Arctique en tant qu’agent affectant et affecté par la région. Cependant, les auteurs du policy brief, Adam Stepien et Andreas Raspotnik, pensent que la politique intégrée de l’Union européenne pour l’Arctique de 2016 était peu réaliste dans sa mise en œuvre pour ce qui est de la cohérence et de l’intégration. Ainsi, comme la note stratégique, le policy brief propose un renouvellement de la politique arctique en réponse aux évolutions géopolitiques depuis 2016.
Selon le CEPB, le climat, le développement durable, et la coopération internationale présents dans la déclaration de 2016 devraient être maintenus. Toutefois, la politique de l’Union européenne ne devrait pas se cantonner à penser l’Arctique seulement sous le prisme du changement climatique. Il faudrait qu’elle traite également de sujets comme la sécurité (mais de manière indirecte), les matières premières ou encore les opportunités économiques à travers des mesures concrètes pour le futur. Pour se faire, Adam Stepien et Andreas Raspotnik recommandent à l’Union européenne de revoir la structure institutionnelle de sa politique arctique. Ils suggèrent une plus grande participation du Parlement européen et des acteurs régionaux, une coordination interne plus efficace à long terme et une meilleure inclusion des enjeux propres à l’Arctique dans le processus de décision sectoral et dans la distribution financière.
Un contentieux sur l’exploitation des ressources naturelles au Svalbard :
les crabes ne sont-ils qu’un début ?
Dans son édition estivale d’août, le quotidien français Le Monde consacre trois pages aux tensions relatives au Svalbard, notamment entre l’Europe et la Norvège sur la pêche au crabe des neiges.
Dans un article intitulé « Norvège, Le panier de crabes du Svalbard », Olivier Truc retrace l’histoire de l’exploitation des ressources naturelles de l’archipel du Svalbard depuis le Traité de Spitzberg du 9 février 1920. Ce traité confère à la Norvège la souveraineté du Svalbard, mais l’exploitation des ressources naturelles de l’archipel est mise « sur un pied d’égalité absolue » avec les ressortissants de la quarantaine d’États signataires dont la France. Afin de rendre intelligible les différends pouvant émerger d’un tel statut juridique, l’article nous expose le contentieux qui oppose actuellement la Norvège, non-membre de l’Union européenne, et l’Union européenne : le crabe de neige.
En effet, le cas d’étude de la pêche au crabe permet d’exposer les risques qui existent pour des contentieux potentiellement plus graves comme par exemple : les activités d’exploitation pétrolière et gazière. L’article, après avoir exposé les faits et la décision prise par la Cour suprême d’Oslo d’empêcher les chalutiers européens de pêcher le crabe, explique les revendications de chacune des parties. L’Union européenne considère qu’au « nom du statut de Svalbard » elle peut pêcher sans l’accord des Norvégiens une partie des crabes. Tandis que, que pour la Norvège « Si le traité du Spitzberg permet aux pays signataires d’envoyer leurs chalutiers pêcher dans la zone maritime du Svalbard, […] les crabes, qui se déplacent au fond de la mer, sont une espèce sédentaire évoluant sur le socle continental [qui] ne devraient pas être inclus dans le cadre du traité ». Cet argument de la Norvège repose sur son interprétation restrictive du traité de Spitzberg, selon laquelle les principes qui n’existaient pas en 1920 ne sont pas applicables : plateau continental, recherche scientifique… L’auteur souligne que si les Européens « font pour l’instant les frais de cet accès souverainiste norvégien, Oslo vise plus les ambitions chinoises de développer des activités dans l’Arctique ». L’article dresse également un historique et un état des tensions avec la Russie.
L’Union européenne investit dans le renforcement des moyens informatiques et de calcul pour la modélisation climatique en Arctique.
Quarante chercheurs européens se sont réunis en avril et juin 2019 afin de discuter des prochaines étapes à suivre pour une science climatique européenne de pointe, dans le cadre du projet H2020 Blue action.
Dans un article publié en août 2019, la Commission européenne met à l’honneur le groupe européen de modélisation du climat dans le cadre du projet H2020 Blue action. Le projet H2020 Blue action a réuni des spécialistes européens afin de développer des modèles climatiques simulant le climat arctique des prochaines saisons jusqu’aux prochaines décennies. Le projet Blue action, créé en 2016 dans le cadre du programme H2020, a pour objectif d’améliorer notre compréhension de l’impact du réchauffement en Arctique sur la circulation océanique et atmosphérique globale. Dans cette optique, le projet a obtenu une contribution de 7,5 millions d’euros de la Commission européenne destinée à augmenter les capacités de prévision des climats et températures extrêmes dans l’hémisphère nord. Il est dirigé par Steffen Olsen du Danish Meteorological Institute et Daniela Matei du Max Planck Institue of Meteorology. Le programme international ASOF, qui travaille sur l’océanographie des régions arctiques et subarctiques et son rôle sur le climat, a également contribué à l’organisation de cette rencontre.
Si l’investissement, le partage de connaissance et le stockage de données sont cruciaux pour la nouvelle génération de modèles climatiques de haute résolution, les groupes de travail ont davantage mis en avant l’importance de la coopération. Selon eux, cette coopération doit se faire non seulement entre les différentes équipes de chercheurs, mais également entre les disciplines de la modélisation et de la recherche par observation. L’approche communautaire est ainsi privilégiée avec la volonté de partager les infrastructures et d’élargir la communauté scientifique engagée dans les phases d’analyse. Ceci passe notamment par la mise en œuvre de réseaux d’observations des océans et de l’atmosphère à long terme afin d’améliorer la compréhension des processus climatiques. Le groupe de modélisation du climat promeut également une collaboration entre les différents projets financés par l’Union européenne pour augmenter leur impact et éviter les chevauchements.
[1] 18th meeting of the Headquarter of Ocean Policy, Prime Minister Office, 18 juin 2019.
[2] Le 26 décembre le site internet consacré à l’Arctique a été refondé sur https://www8.cao.go.jp/ocean/english/arctic/arcticpolicy_e.html
[3] Voir bulletin précédent.
[4] Entretiens, Helsinki, FIIA Summer Session, August 2019.
[5] Ice Path Finder BNU-1. Sur « China lauches Polar Observing Micro Satellite », Xinhua, 31 août 2019.
[6] https://www.fmprc.gov.cn/mfa_eng/wjdt_665385/2649_665393/t1567103.shtml
Alexandre Taithe (FRS, coordinateur), Valérie Niquet (FRS), Antoine Bondaz (FRS), Anne-Laure Baldacchino (FRS)