Le Royaume-Uni en Arctique : des ambitions scientifiques et stratégiques
Le Grantham Institute de l’Imperial College de Londres a publié un discussion paper réunissant une vingtaine d’universitaires britanniques pour analyser les axes stratégiques du Royaume-Uni en Arctique, alors que la région fait face à des changements climatiques et politiques rapides.
Le document reprend les grands enjeux de l’engagement britannique en Arctique, son investissement passé et ses perspectives, en réponse aux bouleversements climatiques, et par conséquent politiques que connait la région. La stratégie britannique se structure essentiellement autour de la recherche scientifique, qui fut sa voie d’insertion privilégiée en Arctique et qui est la réponse principale face aux changements environnementaux. L’organisation de programmes de recherche britanniques, et surtout internationaux, pour l’étude de ces évolutions est perçue comme l’axe prioritaire de la stratégie du Royaume-Uni en Arctique. Plus particulièrement, les chercheurs appellent le pays à élaborer une approche multidisciplinaire dans la région, reposant tant sur une expertise dans les sciences environnementales que dans les sciences sociales et politiques. La recherche est un outil diplomatique, qui permet de monter des collaborations avec les États de la région ou les autres Observateurs du Conseil de l’Arctique. Le document cite par exemple la mission MOSAiC et la construction d’un nouveau brise-glace de recherche britannique, le Sir David Attenborough. La science permet donc de remplir les objectifs du Royaume-Uni d’un Arctique « pacifié et stable », mais est aussi une source d’informations relatives aux opportunités commerciales qui se dégagent en Arctique. Surtout depuis le départ du Royaume-Uni de l’UE, qui peut en profiter pour se ménager de nouveaux partenariats avec des États non-européens en Arctique, comme le Canada, l’Islande ou la Norvège (la Chine est également citée comme un partenaire potentiel). Le pays voit donc la recherche comme un instrument indispensable dans sa stratégie arctique, tant pour sa sécurité intérieure, puisque les changements climatiques de la région affectent son territoire, que pour sa diplomatie et ses opportunités économiques.
La Suisse investit dans la recherche arctique
La Suisse, dernier pays en date à avoir obtenu le statut d’Observateur du Conseil de l’Arctique en 2017, se déploie dans la science en Arctique, en investissant dans de futures petites plateformes de recherche mobiles.
La stratégie de la Suisse en Arctique et son obtention du statut d’Observateur s’accordent essentiellement à son investissement scientifique dans la région. Son principal document relatif à son action en Arctique, publié en 2015, est une politique scientifique pour les espaces polaires. Depuis 1990, la Suisse possède une base de recherche au centre du Groenland, le Swiss Camp. En 2016, elle fonde le Swiss Polar Institute, en charge de financer et accompagner les programmes scientifiques dans les pôles. La Suisse ne possède pas de brise-glace de recherche en Arctique mais cherche à investir dans des navires plus petits, des voiliers, qui serviront de plateformes mobiles pour des expéditions scientifiques. Le journal Heidi.news rapporte que l’Institut polaire suisse aurait plusieurs projets de navires scientifiques, comme le Forel, un voilier de recherche, ou encore un autre bateau en partenariat avec la fondation Tara Océan. De telles plateformes sont beaucoup moins coûteuses que des brise-glaces de recherche, et permettraient à la Suisse de continuer son investissement scientifique, sans nécessairement engager beaucoup de moyens. Si ces navires ont moins de capacité de chargement, donc ne permettent pas de réaliser de grandes expéditions, ils restent suffisamment maniables et mobiles pour devenir des supports réguliers de la science suisse en Arctique.
La Pologne prépare un document stratégique pour l’Arctique
Dans une interview donnée au blog du Conseil de l’Arctique (dans le cadre d’une série d’articles en cours déjà évoquée dans le bulletin n°11), le représentant de la Pologne révèle que le pays prépare une stratégie pour la région, où seront abordés sa vision et son rôle dans la science arctique, la coopération et la diplomatie, et les enjeux économiques à l’heure des changements environnementaux et du développement durable.
La Pologne est une nation engagée en Arctique, en particulier depuis son obtention du statut d’Observateur du Conseil de l’Arctique (CA) en 1996, dès la création de l’organisation. Elle possède une station de recherche dans l’archipel norvégien du Svalbard depuis 1957, à Hornsund. Elle déploie également un navire scientifique dans la région, l’Oceania et son activité scientifique polaire est coordonnée par le Committee on Polar Research de la Polish Academy of Sciences depuis 1975, qui envoie des délégués dans plusieurs organismes de coopération scientifique arctique. La Pologne investit environ deux millions d’euros annuellement dans sa recherche polaire.
Son engagement s’illustre essentiellement à travers son activité d’Observateur dans le Conseil de l’Arctique, où elle déploie son expertise scientifique dans plusieurs groupes de travail et task forces. C’est sur ce point particulier qu’insiste Piotr Rakowski, le représentant polonais (Senior Advisor pour les affaires arctiques au ministère des Affaires étrangères), dans son interview sur le blog du Conseil de l’Arctique. Sa légitimité à participer à la gouvernance se puise dans ces actions, et il s’agit de l’axe principal de sa diplomatie. Il détaille dans cette interview les initiatives polonaises au sein du CA, et les différents acteurs engagés. La Pologne n’a pas encore publié de stratégie pour l’Arctique mais l’entretien révèle qu’un document serait en préparation.
Chine-Russie : intérêts communs et ambiguités
Un chercheur russe spécialisé dans l’étude de l’Arctique a été arrêté pour espionnage au profit de la Chine. Cette arrestation illustre l’ambiguïté des relations sino-russes.
La Chine et la Russie entretiennent un partenariat stratégique profond et d’exception, dont une des manifestations est la coopération entre Pékin et Moscou sur les questions de l’Arctique. Pourtant, en dépit de la qualité constamment réaffirmée du partenariat, Moscou, n’hésite pas à publier des informations – ou prendre des mesures – contraires au discours officiel. Dès le mois de janvier 2020, en contradiction avec la position de Pékin et les avis (à l’époque) de l’OMS, Moscou décidait la fermeture totale et unilatérale de la frontière russo-chinoise. L’histoire de l’URSS rendait peut-être les dirigeants soviétiques, issus du KGB comme Vladimir Poutine, plus réalistes quant à la véracité des informations chinoises sur le Covid‑19.
Selon l’agence Tass, au mois de février, Valery Mitko, President de la St. Petersburg Arctic Social Science Academy, un chercheur russe à la biographie complexe, était arrêté par le FSB, accusé d’espionnage au profit de la Chine et d’avoir fourni des documents classifiés sur le design et la détection des sous-marins et l’hydroacoustique[1]. L’arrestation sera rendue publique quelques semaines plus tard par Moscou, sans prendre en compte la nature privilégiée des relations avec les autorités chinoises.
La biographie du « chercheur » arrêté est particulière. Rattaché à la flotte du Pacifique à l’époque soviétique, il a ensuite été affecté à la région du Nord. Tout en étant qualifié de spécialiste des questions hydroacoustiques, il s’est ensuite « passionné » pour l’Arctique et a fondé en 2003, après la chute de l’URSS, une « Academy of Arctic Science » intégrée aux réseaux globaux de la recherche consacrée à la zone arctique. Plus particulièrement, depuis 2016, dans le cadre de la coopération scientifique russo-chinoise, il est invité deux fois par an à Dalian, dans la province du Liaoning (ex-Port-Arthur) par la Dalian Maritime University où il donne des conférences sur la physique hydraulique[2].
Certains analystes ont souligné que cette arrestation s’inscrivait dans une stratégie du FSB visant les chercheurs ayant des contacts à l’étranger, la publicité donnée à cette arrestation par la partie russe lui confère, dans le cadre des relations russo-chinoises, une autre dimension[3]. La Chine en effet a développé un réseau de coopérations scientifiques internationales dans tous les domaines, qui s’inscrivent dans les programmes d’intégration civilo-militaires et une stratégie ancienne d’acquisition d’informations technologiques par tous les moyens, permettant d’accélérer l’autonomisation des capacités de la Chine[4]. L’Arctique fait aussi partie de cette stratégie où la coopération scientifique – « légale » ou « illégale » – est au service de la montée en puissance de la République populaire de Chine. La construction de bâtiments de haute technologie et les équipements maritimes, y compris adaptés aux conditions du Grand Nord, font partie des priorités ciblées par cette stratégie d’intégration civilo-militaire.
La construction par la Chine de nouveaux brise-glaces plus performants, dont le Xuelong 2 qui a effectué son premier voyage dans l’Antarctique au mois d’octobre 2019 et a participé à l’expédition MOSAIC, introduit un nouvel élément de compétition avec la Russie. La Chine a par ailleurs commissionné un brise-glace nucléaire de 30 000 tonnes en 2018, qui viendrait briser le monopole russe en la matière[5].
Dans le domaine de la recherche également, la Chine est très présente, ses initiatives en la matière étant totalement liées à ses objectifs en matière de sécurité et d’affirmation de puissance. La Dalian Maritime University est intégrée au réseau UArctic, un consortium de recherche international très ouvert dont l’un des objectifs est de « partager la recherche pour adapter les capacités aux besoins ». Les pays membres du Conseil de l’Arctique possèdent le plus grand nombre de centres de recherche rattachés (52 pour la Russie), mais la République populaire de Chine, qui fait partie des États « non-arctiques », possède également un nombre très important de centres de recherche rattachés, 14 sur un total de 34. Pour la Chine, tisser des coopérations à tous les niveaux au nom de la coopération scientifique est une priorité stratégique qui suscite la méfiance, y compris du partenaire stratégique russe, comme l’a démontré la publicité accordée à l’arrestation de Valery Mitko (Liste des centres de recherche chinois rattachés au réseau UArctic)[6].
[1] https://www.stpetersburgnews.net/news/265457704/now-russia-accuses-china-of-spying
[2] Il s’agit de la 大连海事大学Dalian Haishi Daxue. Thomas Nilsen, « 78 Years Old Former Russian Navy Captain, Now Professor on Arctic, Accused of Working for Chinese Intelligence », thebarentsobserver.com, 15-06-2020.
[3] « Russia Accuses Leading Arctic Resarcher of Spying for China », ednews.net, 17-06-2020.
[4] Le programme « made in China 2025 » s’inscrit par exemple dans cette stratégie pilotée par la Central commission for Integrated Military and Civilian Development, dirigée par le Président-secrétaire général du parti communiste Xi Jinping.
[5] Ling Guo, Steven Llyod Wilson, « China-Russia and Arctic Politics », The Diplomat, 29-03-2020.
[6] Chinese Academy of Meterological Science ; Chinese Research Academy of Environmental Science ; Dalian Maritime University ; Harbin Engineering University ; Harbin Institute of Technology ; Liaocheng University ; Ocean University of China ; Polar research Institute of China ; Wuhan University ; Second Institute of Oceanography (Ministry of national resources) ; Environmental Development Center (Ministry of Environmental protection) ; First Institute of Oceanography (Ministry of Natural resources) ; National Marine Environmental Forecasting Center.
Le Ministry of Natural Resource a été créé en 2018 pour regrouper et rationaliser toutes les initiatives en matière de ressources naturelles on et offshore, y compris dans l’Arctique. La Chinese Arctic and Antarctic Administration lui est rattachée. Le ministère coordonne la coopération avec l’ensemble des pays intéressés et organise les expéditions polaires (cf. 中华人民共和国自然资源部 Zhongua renmin gongheguo ziran ziyuanbu).
Alexandre Taithe (FRS), Valérie Niquet (FRS), Mayline Strouk (GEG – FRS)