Catastrophe écologique : la région de Norilsk, victime d’une marée « rouge »
Le 29 mai 2020, l’effondrement d’un réservoir de diesel d’une centrale thermique, située près de Norilsk, a entraîné le déversement de 20 000 tonnes de carburant dans la rivière Ambarnaïa. Véritable catastrophe environnementale pour cette région arctique, cet accident révèle l’étendue des difficultés institutionnelles et industrielles de la gouvernance russe dans un espace fragilisé par le réchauffement climatique.
En raison des conditions géographiques et climatiques de l’Arctique, la perspective d’une pollution majeure dans cette région est un événement redouté depuis de nombreuses années. L’effondrement d’un réservoir de diesel alimentant la centrale thermique de Norilsk a concrétisé cette crainte pour les différents acteurs, institutionnels et industriels. 20 000 tonnes de carburant se sont déversées dans la rivière Ambarnaïa, provoquant une véritable marée « rouge ». Cet accident écologique majeur a mis en évidence deux faiblesses : les défaillances institutionnelles entre l’administration régionale et le pouvoir fédéral, d’une part, et la gouvernance du groupe Norilsk Nickel sur la gestion de ses infrastructures et les questions environnementales.
Tout d’abord, la chaîne de commandement institutionnelle dans la gestion de cette catastrophe a été marquée par un important atermoiement. En effet, si l’accident a débuté dans la matinée du 29 mai, le ministère des Situations d’urgence n’a été informé que le 31 mai, générant un retard critique dans l’acheminement du matériel sur place pour contenir la pollution dans le réseau fluvial local. Ce décalage de communication entre les échelons institutionnels a suscité la colère du président russe V. Poutine lors d’une visioconférence organisée le 3 juin. Ce dernier a mis en accusation le gouverneur du kraï de Krasnoïarsk, Aleksandr Uss, pour la mauvaise gestion de cette crise écologique (Restranscription de la visioconférence, Kremlin, 3 juin 2020, en russe).
Ensuite, NTEK (Noril’sk-Taymyrskaâ energetičeskaâ kompaniâ), l’entreprise responsable de cet accident, est une filiale du groupe NorNickel. Ces dernières années, le minier russe s’est affirmé comme un acteur industriel engagé dans la protection environnementale, avec notamment la fermeture de son usine de traitement à Nikel (cf. Bulletin n°9, Février 2020). Toutefois, les différentes mises en conformité demeurent insuffisantes face à l’urgence que représente le vieillissement d’une infrastructure industrielle soviétique. En effet, ces différentes composantes ont été édifiées à Norilsk entre les années 1930 et 1970. Aussi, cette marée « rouge » ne semble être que la continuité d’incidents industriels et techniques réguliers sur les installations du groupe (Novaya Gazeta, 7 juin 2020, en russe).
Face à l’ampleur de cette pollution industrielle, V. Potanine, dirigeant de NorNickel, a annoncé que le groupe prendrait en charge les coûts de cet accident estimés à 10 milliards de roubles (soit 125 millions d’euros) Dans le même temps, il a annoncé que le montant des dividendes versés aux actionnaires diminuerait en conséquence (Meduza, 11 juin 2020, en russe). Or, la gestion de cette pollution pourrait se prolonger sur les dix prochaines années avec un coût évalué à 1,5 milliard de dollars US selon Oleg Mitvol, ancien directeur adjoint du Rosprirodnadzor (Agence fédérale pour la supervision des ressources naturelles) (Bellona, 5 juin 2020, en russe).
Enfin, cette catastrophe intervient dans un environnement qui est fragilisé par les conséquences du réchauffement climatique. Comme une importante partie du territoire russe (60 %), les sols de la région de Norilsk reposent sur du pergélisol. La fragilisation des sols menace l’ensemble des infrastructures humaines dans la région avec le risque de pertes financières gigantesques comme avertissait un rapport du Rosgidromet en 2018 (Rapport de l’Agence fédérale d’hydrométéorologie et de surveillance de l’environnement, en russe). Dans la zone où s’est déroulé l’accident, la perte de 22% du pergélisol a déjà été observée.
Norvège : tensions autour des projets pétroliers en Arctique
Les projets pétroliers dans la région Arctique sont un sujet de controverses majeures au sein de la société norvégienne alors que le pays s’est engagé à respecter les accords de Paris et à mener sa transition énergétique. Toutefois, la décision du gouvernement d’attribuer 125 blocs pour mener des missions d’exploration pétrolière dans la partie septentrionale du pays souligne de nouveau la dépendance de son économie aux hydrocarbures.
Le 24 juin 2020, le gouvernement norvégien a annoncé un 25e cycle de licences pour mener des opérations d’exploration pétrolière dans la zone arctique avec l’attribution de 125 blocs. Considérée comme une étape importante pour l’industrie des hydrocarbures, Tina Bru, ministre du Pétrole et de l’Énergie, rappelle qu’« une allocation régulière de nouvelles superficies est essentielle pour maintenir l’activité sur le plateau continental de la Norvège » (Communiqué du ministère du Pétrole et de l’Énergie, 24 juin 2020, en norvégien). Cette annonce intervient alors que le Parlement norvégien (Storting) a accordé, début juin, des avantages fiscaux aux entreprises pétrolières à hauteur de 8 milliards de couronnes norvégiennes (soit 760 millions d’euros) (The Barents Observer, 9 juin 2020). Secteur vital pour l’économie nationale, cette décision du Storting est largement soutenue au sein des groupes parlementaires. En effet, l’activité du secteur garantit le maintien de nombreux emplois et la création d’une forte valeur-ajoutée dans le pays (TV2.no, 8 juin 2020, en norvégien).
Ces annonces entrent en contradiction avec les engagements de la Norvège sur les questions climatiques. À cet égard, les ONG environnementales norvégiennes sont vent debout et dénoncent cette décision du gouvernement. Selon Silje Ask Lundberg, qui dirige la branche norvégienne des Amis de la Terre (Naturvernforbundet), « la politique pétrolière du gouvernement est incroyablement irresponsable » envoyant de mauvais signaux concernant la crise climatique et environnementale en cours en Arctique. Frode Pleym, directeur de Greenpeace Norvège, dénonce le virage pétrolier entrepris par Oslo dans la région arctique dénonçant l’aveuglement face à la réalité du changement climatique (The Barents Observer, 24 juin 2020).
Vers la relance d’un projet minier dans la péninsule de Taïmyr ?
Les immenses réserves de charbon dans la péninsule de Taïmyr pourraient connaître un nouveau plan de développement. Le 18 juin 2020, l’homme d’affaires russe Roman Trotsenko a récupéré, dans un échange d’actifs, les gisements de charbon détenus par Dmitry Bosov. Ce nouveau projet relance les perspectives de développement de la filière houillère alors que cette dernière constitue une priorité du gouvernement fédéral.
Alors que des projets miniers prennent formes dans l’Arctique russe (cf. Bulletin n°13), l’exploitation des gisements de charbon dans la péninsule de Taïmyr connaît un nouveau développement favorable tandis que le renforcement de la filière houillère fait partie des objectifs du gouvernement russe. À ce titre, ce dernier a lancé un programme de développement pour soutenir l’industrie du charbon dans le pays (Programme pour le développement de l’industrie houillère jusqu’en 2035, 13 juin 2020, en russe).
Le 18 juin 2020, l’homme d’affaires russe Roman Trotsenko a récupéré les gisements de charbon détenus par Dmitry Bosov. Débutées au mois de février 2020, les négociations ont été compliquées par le décès de ce dernier au mois de mai. Son épouse, Katerina Bosov, a mené à sa conclusion ce processus de vente. Ainsi, l’accord obtenu est non monétaire et implique un échange d’actifs entre les deux parties. Roman Trotsenko a concédé en échange ses participations dans le projet de liquéfaction « Pechora LNG ».
Concernant la production de charbon dans la péninsule de Taïmyr, elle semble être revue à la baisse avec ce nouveau propriétaire. En effet, R. Trotsenko envisage des projections plus modestes sur l’exploitation du gisement pour les cinq prochaines années. Ainsi, il estime que le premier million de tonnes de charbon pourrait être extrait en 2023, et que la production pourrait atteindre 5 millions de tonnes à partir de 2025 (Forbes, 19 juin 2020, en russe). Le coût de l’investissement total est estimé à 33 milliards de roubles (soit 415,7 millions d’euros) dont 30% sera financé par R. Trotsenko sur ses propres fonds. Le reste de l’investissement sera couvert par un emprunt bancaire. Bien que pour l’heure aucun détail ne soit finalisé concernant les conditions de l’emprunt, l’homme d’affaires et la banque russe VTB ont signé un accord de coopération en vue d’un prêt.
Mise en place d’une commission de vérité et de réconciliation en Suède pour les Sami
Alors que de nombreux projets économiques sont envisagés dans la région de Barents, la population Sami, estimée entre 100 000 et 150 000 personnes réparties sur les quatre pays de la zone, est un enjeu sociétal majeur. En Suède, l’établissement d’une commission de vérité et de réconciliation entend mettre à jour les discriminations subies par cette population dans le passé.
Les relations entre la population Sami et les États de la région de Barents (Finlande, Norvège, Russie et Suède) sont complexes en raison d’un passé conflictuel où la reconnaissance de leurs droits a été un long et lent processus. En Suède, cette question se pose à présent sérieusement. La mise en place d’une commission de vérité et de réconciliation a pour ambition de rétablir la véracité sur le traitement passé de la population Sami par l’État suédois. En mars 2021, le Parlement suédois présentera son rapport sur cette future commission et la manière dont elle sera structurée.
En attendant, les discussions ont débuté dans ce processus de mise en œuvre qui entend également inclure des Sami des régions voisines. Selon la ministre de la Culture suédoise Amanda Lind, la création de cette commission est une étape cruciale « dans le travail visant à rendre audibles les violations et les abus auxquels les Sami ont été exposés tout au long de l’histoire et qui sont bien trop peu connus » (The Barents Observer, 17 juin 2020). Dans le même ordre d’idées, cette commission a pour objectif de combattre les préjugés et formes de racismes qui peuvent exister dans la société suédoise. Enfin, il s’agit de la sensibiliser sur les conditions de vie, la culture, l’histoire et les droits de cette population autochtone.
Florian Vidal (GEG)