Un nouveau projet ferroviaire dans l’Arctique russe ?
Alors que la Russie ambitionne de développer la route maritime du Nord (NSR), le vieux rêve de relier l’Arctique à l’espace asiatique par voie ferrée refait surface. Pour compléter le projet du chemin de fer Belkomour, une extension reliant Arkhangelsk au port d’Indiga, dans l’okroug autonome de Nénetsie, est désormais envisagée.
Alors que le développement de la route maritime du Nord est une priorité des autorités fédérales, celui d’une infrastructure ferroviaire reliant l’Arctique au reste du territoire russe est également un projet ancien. Envisagée dès les années 1930 sous Staline, la voie ferrée Belkomour joignant la mer Blanche à l’Oural n’a jamais été achevée. Avec le développement des échanges économiques entre la Russie et l’Asie, particulièrement la Chine, ce projet a été de nouveau remis à jour ces dernières années.
Pour renforcer l’intérêt économique de la réalisation de cette infrastructure, une extension reliant Arkhangelsk au port d’Indiga, situé dans l’okroug autonomie de Nénétsie, est dorénavant envisagée. Cette liaison s’effectuerait par Karpogorsk, point de passage qui relierait le port d’Indiga, situé à 500 km (TASS, russe, 18 mai 2020). Si les autorités locales estiment que les travaux ne présenteraient aucune difficulté technique et financière, certains s’interrogent sur la viabilité économique d’un tel projet infrastructurel.
Ainsi, pour le professeur et chercheur norvégien Arild Moe, la réalisation d’une telle infrastructure semble très hypothétique en rappelant que « le chemin de fer de Belkomour est en discussion depuis de nombreuses années, sans que beaucoup de choses se passent sur le terrain ». De même, des plans de développement pour le port d’Indiga avaient été envisagés, avec la construction d’un terminal GNL, sans résultat face aux besoins importants d’investissement. Source : The Barents Observer, 27 mai 2020.
Vers la création d’une grande région arctique en Russie ?
La crise économique qui frappe l’Arctique russe favorise des évolutions de gouvernance des territoires septentrionaux. Ainsi, l’oblast d’Arkhangelsk et l’okrug autonome de Nénétsie (NAO) discutent la fusion des deux entités administratives en une seule.
En février 2020, dans le cadre de la réforme constitutionnelle, des travaux ont été entrepris pour modifier la gestion des territoires arctiques de la Russie (cf. Bulletin n° 10, mars 2020). La crise économique actuelle touche sévèrement l’okroug autonome de Nénétsie. Alors que cette entité administrative dépend largement des hydrocarbures pour ses ressources budgétaires (82 % du budget), cette région est à présent au bord de l’asphyxie. À tel point que Youri Bezdudny, le gouverneur par intérim du NAO, a indiqué que le budget de l’okroug était calculé sur la base d’un prix du baril de pétrole à 57 dollars US. Or, avec un prix stabilisé autour de 30 dollars US, le NAO se trouvait « au bord du gouffre financier ». Source : The Barents Observer, 14 mai 2020.
Face à cette crise, le NOA et l’oblast d’Arkhangelsk ont annoncé le 13 mai un plan de fusion des deux entités administratives, suite à la signature d’un mémorandum. Les membres du groupe de travail, qui préparent des propositions pour la fusion de la région d’Arkhangelsk et de l’okroug autonome de Nénétsie, travaillent également sur l’inclusion de la République de Komi dans ce futur sujet de la fédération. Pour le chef du groupe de travail Matvei Chuprov, cette proposition, si elle aboutissait, permettrait « de mettre en œuvre des projets à grande échelle et de rassembler ces régions autour d’intérêts communs » (TASS, russe, 19 mai 2020). Toutefois, l’opinion publique du NAO paraît à ce stade réticente à un tel projet de fusion, alors que les représentants des populations autochtones ont exprimé leur ferme opposition. De même, l’hypothèse d’inclure la République de Komi a été exclue par son dirigeant Vladimir Uiba en déclarant être « contre de telles actions imprudentes ». Selon lui, une telle initiative ne peut intervenir qu’à la seule condition « d’une décision mutuelle des résidents des régions concernées ». Sources : TASS, russe, 19 mai 2020 ; RBK, russe, 20 mai 2020.
La région de Mourmansk obtient le statut de zone économique spéciale
En mai 2020, le ministère pour le Développement de l’Extrême-Orient et de l’Arctique de la Fédération de Russie a officiellement incorporé l’oblast de Mourmansk comme un espace de développement prioritaire. Cette décision vise à renforcer l’attraction économique de cette région stratégique pour le développement de l’Arctique russe.
L’oblast de Mourmansk, espace économique et démographique le plus important de l’Arctique russe, représente un pivot stratégique pour le programme de développement de l’espace septentrional soutenu par le pouvoir fédéral. À ce titre, le ministère pour le Développement de l’Extrême-Orient et de l’Arctique a officiellement accordé le statut de zone économique spéciale à l’oblast. Ce nouveau statut comprend une série d’avantages fiscaux et d’incitations économiques qui doivent faciliter l’accueil des investissements dans l’oblast.
Toutefois, une priorité particulière est accordée à quatre projets, dont celui mené par le groupe Novatek, qui gère le grand chantier naval Kola Yard à Belokamenka, dans la baie de Mourmansk. De même, le nouveau terminal de charbon Lavna actuellement en construction, sur la côte occidentale de la baie de Kola, et le terminal de Tuloma, un projet de port maritime développé par la société d’engrais minéraux Phosagro, comptent également parmi ces projets prioritaires. Au total, ces quatre projets recensés pourraient générer jusqu’à 127 milliards de roubles (1,62 milliard d’euros) et créer jusqu’à 1 500 nouveaux emplois (Communiqué de presse du ministère pour le Développement de l’Extrême-Orient et de l’Arctique, russe). D’autres projets pourraient être ajoutés sur cette liste, mais les projets de construction portuaire soulignent l’orientation du développement économique en direction de la route maritime du Nord.
Une usine de traitement flottante des minerais en Nouvelle Zemble
Dans l’optique de l’essor de la route maritime du Nord (NSR), le secteur minier représente un axe de développement majeur de l’espace arctique russe. Le projet de mine sur l’archipel de Nouvelle-Zemble franchit une nouvelle étape avec la construction d’une usine de traitement flottante.
En 2019, la société First Ore Mining Company, filiale de Rosatom, avait annoncé le lancement d’un projet minier en Nouvelle-Zemble participant au développement économique de la NSR (cf. Bulletin n° 2, juilllet 2019). Ce projet vise à l’exploitation du gisement de Pavlovskoye qui dispose d’une réserve de 47,7 millions de tonnes de minerais (dont du zinc et du plomb).
Désormais, une nouvelle étape infrastructurelle pour le traitement des minerais va être franchie. Ainsi, une unité flottante sera construite sur le continent avant d’être acheminée vers l’archipel à proximité des futures activités d’extraction. Pour sa réalisation, la société russe s’est associée à trois entreprises finlandaises. D’une part, l’entreprise finlandaise Aker Arctic est responsable de la conception d’une barge flottante spéciale. D’autre part, Outotec gère la conception de l’usine de traitement qui sera installée sur l’infrastructure flottante alors que la société Wärtisilä a été chargée de la conception de la centrale électrique. Concernant ce dernier point, le type de combustible qui doit être utilisé « est toujours en discussion, mais il ne s’agira certainement pas d’un réacteur nucléaire », selon Alexeï Dudal, directeur adjoint du service de conseil et de technologie d’Aker Arctic. Source : The Barents Observer, 13 mai 2020.
Florian Vidal (GEG)