Bulletin Mars 2020 – Amérique du Nord – Groenland/Danemark – Islande

ÉTATS-UNIS

Le Commandant du NORAD s’inquiète des capacités russes et chinoises dans l’Arctique

Le général O’Shaugnessy a fait part de ses craintes concernant les capacités dépassées du système d’Alerte du Nord (SAN) qui a besoin d’être modernisé pour faire face aux nouvelles armes russes pouvant être déployées dans l’Arctique. Il a également mis en garde contre les capacités économique et militaire accrues de la Chine dans la zone.

Les 13 et 26 février 2020, devant une commission du Sénat américain, le Général O’Shaughnessy a réitéré ses demandes de modernisation du SAN et partagé ses craintes envers les capacités des nouvelles armes russes. Selon le militaire, ces missiles pourraient permettre à la Russie de contrôler l’Arctique ainsi que d’atteindre l’Alaska, si ceux-ci sont déployés dans le Nord-Est de la Russie. Une crainte qui pèse également sur les nouveaux missiles balistiques hypersoniques nucléaires russes, qui seraient selon lui indétectables par le NORAD. Lors de ces auditions, le Général s’est aussi inquiété de la capacité économique et militaire chinoise en Arctique, cette zone étant la première ligne de défense des États-Unis et du Canada. Par ailleurs, le Général O’Shaughnessy a annoncé qu’entre 3 000 et 5 000 soldats participeront à l’exercice Arctic Edge 2020, doublant le nombre de participants à cet exercice qui s’est déjà tenu en 2018. Arctic Edge 2020 a pour but de tester les capacités des forces américaines à se « battre, communiquer et gagner » dans cet environnement très contraignant. Cet exercice impliquera différents services, y compris un service cyber, et se déroulera dans le Joint Pacific Alaska Range Complex (JPARC). Selon le militaire, cela montre que les États-Unis sont engagés dans l’amélioration de leurs capacités de défense dans leur région Arctique, afin de protéger leurs intérêts vitaux ; message qui semble directement adressé à la Russie et à la Chine. Source : Sénat américain, Sénat américain.

Le ralentissement des investissements banquiers dans les projets pétroliers inquiète les habitants de l’Alaska

Face aux mouvements de protection de l’environnement, certaines banques ont retiré leurs investissements dans le secteur du pétrole. L’État de l’Alaska étant fortement dépendant de ce secteur, l’inquiétude augmente.

Sous la pression des groupes de protection de l’environnement, le Crédit agricole (20 février 2020) et JP Morgan (24 février 2020) ont stoppé leurs investissements dans le secteur pétrolier en Arctique. Goldman Sachs avait déjà fait cette annonce le 16 décembre 2019. Ce mouvement de retrait a également été initié par une lettre écrite fin janvier par quinze sénateurs démocrates américains et envoyée à onze banques américaines. Cette lettre a été suivie par une missive de 24 députés démocrates. L’Alaska étant fortement dépendante des revenus du pétrole, son gouverneur, Mike Dunleavy, a réagi en licenciant Goldman Sachs d’un consortium de Wall Street choisi pour emprunter des fonds. Ce « licenciement » pourrait coûter entre 200 000 et 300 000 dollars à la banque. Dans une interview, Mike Dunleavy a également évoqué la possibilité de retirer les banques de la gestion des portefeuilles du Fonds Permanent (estimé à 67 milliards de US$) détenu par l’État d’Alaska. Les membres de la délégation Alaska au Congrès ont, pour leur part, écrit aux banques pour demander de ne pas prendre en compte les lettres. Prises sans concertation avec le Parti, ces initiatives ont été mal reçues par Dan Sullivan, qui a écrit des lettres personnelles à leurs signataires.

L’Administration Trump prévoit l’ouverture d’une représentation consulaire permanente à Nuuk dans son budget 2020

Le Congrès américain doit examiner une demande d’ouverture de représentation consulaire permanente à Nuuk, dans le budget de l’Administration Trump.

Le nouveau budget de l’Administration Trump prévoit l’ouverture d’une représentation permanente à Nuuk. Selon certains, le Congrès devrait valider cette proposition étant donnée l’importance stratégique du Groenland pour les capacités militaires américaines et la recherche environnementale. La présence de terres rares jouerait également un rôle dans cette validation. Cette initiative américaine, visant à renforcer ses relations avec le Groenland, serait motivée par la volonté de diminuer la présence russe et chinoise sur l’île. Selon un parlementaire, l’étroite communication avec le Danemark a permis aux États-Unis de remporter – face à la Chine – l’appel d’offres pour la construction d’aéroports. Ce parlementaire a également souligné qu’il ne comprenait pas que les États-Unis « gâchent de l’argent dans la construction d’un consulat dans un sous-continent qui revient de droit au continent Américain ». Un porte-parole du gouvernement de l’Alaska a indiqué que ce nouveau consulat permettrait d’augmenter l’autorité américaine sur le territoire groenlandais et de mieux représenter leurs intérêts. Pour Sherri Goodman, analyste senior du Centre pour le Climat et la Sécurité, les États-Unis doivent mettre un « bon pied » au Groenland, en prévoyance de l’indépendance de l’île. Selon lui, « il est important, dans ce contexte d’indépendance, que les États-Unis intègrent l’île au continent nord-américain et à l’Alliance de l’Ouest ». Selon Mead Treadwell, co-président de l’Institut Polaire du Wilson Center, ancien gouverneur de l’Alaska et président de la compagnie Quilak LNG, cette présence est logique, étant donné que les États-Unis dépendent de la base de Thulé pour leur système de défense antimissile et conduisent de nombreuses recherches géologiques qui pourraient permettre le développement du pétrole et du gaz, mais aussi des ressources minières. Côté groenlandais, Inuuteq Holm Olsen, ministre plénipotentiaire et chef de la représentation du Groenland à l’ambassade du Danemark à Washington depuis janvier 2014, a indiqué que ce consulat étant « petit », il ne représentait pas de soucis.

Une étude scientifique alerte à nouveau sur les changements drastiques des écosystèmes océaniques en mers de Béring et de Chukchi

Les changements importants des écosystèmes en mers de Béring et de Chukchi alarment la communauté scientifique.

Le 24 février 2020, une étude publiée dans le journal Nature Climate Change présente des résultats alarmants concernant les changements d’écosystèmes en mers de Béring et de Chukchi. La rapidité de ces changements a été un « choc » pour l’intégralité des chercheurs du « North Pacific Research Boards’s Arctic Integrated Ecosystem Research Program ». Lancé en 2017, ce programme représente un investissement de 18,6 millions de dollars. L’intégralité des résultats sera publiée en juillet 2021.

CANADA

Le système d’alerte du Nord dépassé

Alors qu’aucun financement ne semble prévu pour la modernisation du Système d’Alerte du Nord, les déclarations de militaires américains et canadiens haut-placés du NORAD se multiplient pour alerter sur la vétusté de ses technologies, notamment face aux évolutions technologiques russes et à la détection de vols de bombardiers stratégiques russes dans l’Arctique canadien.

Lors de la conférence annuelle du Conference of Defence Associations Institute (CDAI) à Ottawa, le Commodore Jamie Clarke, directeur adjoint de la stratégie du Commandement de la défense aérospatiale de l’Amérique du Nord (NORAD), a affirmé que le système d’alerte du Nord (SAN) (ou North Warning System) ne serait pas en mesure de détecter et de suivre les bombardiers longue portée russes avant qu’ils ne soient à portée de tir du continent nord-américain. Cet officier supérieur a donc appelé à la modernisation de ce système, qui fonctionne avec des technologies datant des années 1980 ; modernisation qui ne semble pas avoir été prévue dans les budgets de l’administration canadienne (cf. bulletin n°9). Deux jours après cette annonce, deux bombardiers stratégiques à longue portée Tu‑160 Blackjack russes ont été détectés par le NORAD dans la Zone de défense d’identification aérienne canadienne (CADIZ). Ces déclarations ne sont pas nouvelles, puisqu’en mars 2019, le général américain Terrence O’Shaughnessy, commandant du NORAD, avait tenu des propos similaires à Ottawa à cette même conférence. Ce général a par ailleurs récemment affirmé, lors d’une audition devant une commission du Sénat américain, que l’obsolescence du SAN fait perdre un avantage militaire que les États-Unis et le Canada avaient acquis dans l’Arctique (cf. partie États-Unis). Source : CBC, CBC, Regard sur l’Arctique, Regard sur l’Arctique, Sénat américain.

Le ministre des Affaires du Nord affirme sa volonté de mettre en œuvre le nouveau cadre stratégique pour l’Arctique et le Nord

Lors d’une conférence, le ministre des Affaires du Nord a dévoilé les priorités de son ministère et affirmé sa volonté de mettre en œuvre le nouveau cadre stratégique pour l’Arctique et le Nord, tout en promettant plus de contrôle pour les Inuits du Nunavut sur leur Territoire.

Intervenant le 5 février lors de la conférence Northern Lights (Ottawa), le nouveau ministre des Affaires du Nord, Dan Vandal, a confirmé la volonté du gouvernement fédéral de mettre en place le cadre stratégique pour l’Arctique et le Nord publié peu avant les dernières élections fédérales. Reconnaissant que les populations du Nord ont par le passé été mises de côté dans les processus de décision les concernant, il a rappelé que cette stratégie sera mise en œuvre avec elles. De plus, lors de sa première visite dans le Nord à Rankin Inlet et Arviat, les 12 et 13 février, il a annoncé que sa première priorité sera de s’occuper de la crise du logement en débloquant des nouveaux budgets ; 5 000 personnes sont en effet en attente de logement au Nunavut. Le ministre a enfin annoncé que les Inuits du Nunavut pourront bientôt avoir plus de contrôle sur leur Territoire, faisant référence au pré-accord de dévolution signé en août 2019 avec le gouvernement fédéral. Sources : Nunatsiaq, Arctic Today, Eye on the Arctic.

Le Canada en faveur de l’interdiction de l’utilisation du fuel lourd maritime en 2029

Le Canada s’est dit favorable à une interdiction de l’utilisation du fuel lourd dans l’Arctique, même si les navires battant pavillon canadien bénéficient d’une exemption temporaire jusqu’en 2029.

Lors de la 7ème session du sous-comité sur la prévention et la lutte contre la pollution de l’organisation maritime internationale (OMI), le Canada a décidé de soutenir l’interdiction de l’utilisation du fuel lourd dans l’Arctique. L’intégralité des autres États circumpolaires, excepté la Russie, ont soutenu cette interdiction. Toutefois, une exemption temporaire pourrait être accordée jusqu’en 2029 pour les navires battant pavillon des États arctiques et évoluant dans leurs eaux (cf. partie Trafic maritime). Cela impacterait en premier lieu le Sealift qui ravitaille les communautés arctiques en été. L’application de cette interdiction de l’utilisation du fuel lourd dans l’Arctique aurait un coût pour les communautés isolées, évalué en moyenne à 649 dollars par an et par ménage, selon Transports Canada. Cette exemption temporaire permettrait aux compagnies de Sealift de trouver une alternative au fuel lourd et de s’adapter. Considéré comme un risque important pour la faune et la flore, le fuel lourd est très difficile à nettoyer en cas de déversement en mer, et a déjà été banni en Antarctique. Cette interdiction du fuel lourd est demandée par le Conseil circumpolaire inuit (CCI) depuis 2015. Le CCI n’est donc pas satisfait d’une possible exemption temporaire, la qualifiant d’insuffisante et appelant à une interdiction ferme. Cette question doit être tranchée lors d’une nouvelle réunion du sous-comité de l’IMO en octobre 2020. Sources : CBC, Transports Canada, High North News, Nunatsiaq, OMI. Voir également la rubrique Sécurité maritime – Trafic maritime.

GROENLAND/DANEMARK

L’intérêt pour le Groenland grandit fortement, au fur et à mesure que les discussions concernant son indépendance progressent

L’accès à l’indépendance du Groenland étant de plus en plus tangible, les intérêts chinois et américains s’accélèrent.

Le budget groenlandais est actuellement dépendant de deux « secteurs » : la pêche (qui représente 95% des exportations de l’île) et l’aide danoise qui représente la moitié du budget du gouvernement, avec un versement annuel de 600 millions de dollars. Mais le Groenland attire de plus en plus les intérêts américains et chinois. Ces intérêts seraient liés aux potentiels économique et stratégique de l’île, tous deux étant la conséquence du changement climatique. D’un point de vue économique, le Groenland bénéficie d’une des plus larges réserves de terres rares – notamment de neodymium, praseodymium, dysprosium et terbium – utilisées dans la construction des téléphones, ordinateurs et voitures électriques. Or, les changements climatiques permettraient un accès plus facile à ces terres rares. D’un point de vue stratégique, les États-Unis se préparent à l’indépendance groenlandaise en augmentant leur présence. Ils souhaitent être bien implantés sur l’île lorsque cette indépendance aboutira, notamment en prévoyant l’ouverture d’une représentation permanente consulaire (voir partie États-Unis).

Victime du dégel du pergélisol, l’aéroport de Kangerlussuaq – premier aéroport de l’île en termes de fréquentation – prévoit d’arrêter ses vols civils d’ici cinq ans

L’aéroport de Kangerlussuaq, qui a accueilli 11 000 vols l’année dernière, devrait être fermé aux vols civils d’ici cinq ans.

Victime du réchauffement climatique, l’aéroport de Kangerlussuaq devrait fermer son accès aux vols civils d’ici cinq ans. En effet, l’accélération du dégel du pergélisol entraîne la destruction des pistes, rendant les décollages et atterrissages de plus en plus périlleux. Deux nouveaux aéroports seront construits : l’un à Nuuk et l’autre plus au Nord. Kangerlussuaq sera opéré uniquement par les forces armées danoises.

Les Inuits du Groenland, du Canada et de l’Alaska fondent une association de commerce international

En février 2020 a été créée l’Association International de Commerce Inuit, formalisant une idée qui avait émergé en 2017.

Mi-février 2020, l’International Inuit Business Association (IIBA) a été lancée, regroupant des entreprises inuites du Groenland, du Canada et de l’Alaska. L’IIBA permettra aux entrepreneurs inuits d’unir leurs efforts pour promouvoir les économies arctiques. Cette collaboration pan-Arctique aura pour but de permettre un développement durable et équitable des communautés inuites. En plus de recruter des entreprises du Canada, des États-Unis, du Chukotka et du Groenland, l’IIBA conduira des recherches pour déterminer les secteurs économiques prioritaires pour les communautés inuites.

ISLANDE

L’Islande et l’Estonie parlent Arctique lors d’une rencontre à Tallinn

Les ministres des Affaires étrangères islandais et estonien ont évoqué la coopération arctique dans le cadre des relations nord-baltiques.

Le 19 février 2020, Gudlaugur Thor Thordarson et Urmas Reinsalu, ministres des Affaires étrangères islandais et estonien, se sont rencontrés à Tallinn. Ils ont évoqué leurs volontés que l’Arctique reste une zone de « basse » tension. Ayant déposé sa candidature pour obtenir le statut de membre observateur au Conseil de l’Arctique en novembre 2019, l’Estonie discute publiquement de plus en plus de la zone. Selon Urmas Reinsalu, les chercheurs polaires estoniens étudient la zone depuis des années et pourraient donc apporter leur expertise aux groupes de travail du Conseil de l’Arctique. « État non-arctique le plus au nord », l’Estonie est directement concernée par les développements géopolitiques de la zone et par les changements climatiques l’affectant.

Reykjavik désignée deuxième destination européenne pour la pêche

Le site internet FishingBooker a désigné Reykjavik comme le deuxième port européen pour la pêche, le premier étant Gibraltar.

FishingBooker, un site internet spécialisé dans la pêche récréative, a désigné Reykjavik comme le deuxième port le plus attractif d’Europe, après Gibraltar. La longue tradition de pêche de l’Islande et les paysages volcaniques en font une destination privilégiée pour les pêcheurs.

 

Jean-Paul Vanderlinden (CEARC), Magali Vullierme (CEARC), Michael Delaunay (CEARC)