Les États observateurs, grands absents de la conférence Arctic Frontiers
L’Arctic Frontiers est une conférence internationale d’une semaine organisée chaque année à Tromsø, en Norvège. Si les conférences et réunions internationales sont des plates-formes de représentation pour les États observateurs sur la scène arctique, cette année ils étaient absents des débats, et des événements organisés en marge.
La conférence internationale Arctic Frontiers a été cette année organisée du 26 au 30 janvier à Tromsø sur le thème « The power of knowledge » et autour de cinq sessions principales : les États de l’Arctique, la production de savoirs sur la région, la résilience des communautés arctiques, un océan durable, et le futur du business en Arctique. Des ministres et représentants politiques de plusieurs pays arctiques étaient conviés à s’exprimer, en particulier norvégiens (Affaires étrangères), suédois et finlandais. D’autres intervenants tels que des responsables d’ONG locales ou internationales, des chercheurs, entrepreneurs ou représentants d’organismes de coopération régionale ont participé aux différentes discussions organisées.
Or, aucun représentant de pays non-arctiques ou observateurs du Conseil de l’Arctique ne s’est exprimé au cours des quelques jours qu’a duré Arctic Frontiers. Les conférences internationales sont habituellement des plates-formes privilégiées pour les observateurs pour exprimer leurs intérêts arctiques. Ainsi, c’est à l’Arctic Circle organisé à Reyjavik en octobre 2019 que l’Ecosse et la Suisse avaient présenté leur stratégie arctique, ce qu’avait également fait la France en 2019. L’Union européenne, qui n’a pas le statut de membre observateur du Conseil de l’Arctique, avait organisé à Umeå en Suède l’EU Arctic Forum, l’occasion de réaffirmer ses ambitions pour la région (voir bulletin n°5). Enfin, la Chine avait organisé sa propre conférence Arctic Circle à Shanghai en mai 2019.
Le positionnement ambigu de l’Union européenne dans la gouvernance arctique
Le député européen Urmas Paet, représentant l’UE à la conférence de Kirkenes en février, souligne le manque d’engagement institutionnel de l’Union dans la gouvernance Arctique, alors même que la région représente un intérêt stratégique.
Urmas Paet, ancien ministre estonien des Affaires étrangères et député européen, s’est rendu à la conférence de Kirkenes où étaient abordés les enjeux économiques et d’engagement du secteur privé en Arctique. Il en a profité pour donner une interview au Barents Observer dans laquelle il insiste sur le manque d’investissements institutionnels de l’UE pour la région, alors que celle-ci représente un intérêt stratégique. Selon lui, l’Arctique est stratégique pour l’Union européenne en ce qu’elle est une région de l’Union et que sa géopolitique impacte celle de l’Europe, et inversement. En particulier, il voit en l’acteur européen un moyen de contrebalancer la concurrence entre puissances (Russie, États-Unis, et surtout Chine) qui émerge dans la région.
Il regrette que l’Union européenne ne consacre pas un groupe de travail complet pour gérer les affaires arctiques. Comme Marie-Anne Coninsx, ancienne ambassadrice de l’UE pour la région, il juge que la stratégie européenne de 2016 est datée – elle devrait être mise à jour d’ici la fin de l’année 2020. Cette nouvelle stratégie, outre les enjeux de sécurité sur lesquels insistait Marie-Anne Coninsx, devrait selon lui mettre l’accent sur les questions de développement économique, infrastructurel et d’entreprenariat en Arctique, alors qu’il s’agit du principal angle d’investissement chinois dans la région. Une telle stratégie devrait pouvoir résister aux changements rapides de la situation en Arctique et rester d’actualité pour plusieurs décennies, contrairement à la précédente qui a été jugée dépassée seulement trois ans après sa publication.
L’Union européenne connait actuellement des remous dans sa représentation institutionnelle en Arctique. Marie-Anne Coninsx avait en octobre tenté de porter l’UE comme un acteur incontournable dans la région à travers l’EU Arctic Forum et son discours à l’Arctic Circle où elle annonçait la préparation d’une nouvelle stratégie européenne centrée sur les enjeux de sécurité. Après son départ à la retraite en novembre, elle a été remplacée par le suédois Lars-Gunnar Wigemark, qui a cependant quitté ses fonctions fin janvier (son départ était dans un premier temps annoncé pour le 1er décembre 2019) pour devenir président de la mission « État de droit » (Rule of Law) au Kosovo. Le nouvel ambassadeur européen en Arctique n’a pas encore été nommé.
La Chine conteste être une menace pour la sécurité norvégienne en Arctique
L’ambassadeur chinois en Norvège Yi Xianliang a réagi à la publication du rapport Fokus 2020 par les services norvégiens du renseignement extérieur, arguant qu’il contient plusieurs inexactitudes et « idées-fausses » sur la présence chinoise en Arctique.
Le rapport Fokus 2020 des services de renseignement extérieur norvégiens a été remis au ministre de la Défense Frank Bakke-Jensen au cours de la semaine du 10 février, pour évaluer les différents risques sécuritaires pour la Norvège en 2020. La Chine a été en particulier identifiée comme une menace potentielle pour la sécurité du pays, et est citée 177 fois dans le rapport de 128 pages. L’ambassadeur chinois en Norvège s’est empressé de réagir en marge de la conférence de Kirkenes (conférence organisée chaque année en février par la Norvège pour discuter des enjeux économiques et sociaux du Grand Nord). Il dénonce la mauvaise compréhension concernant les activités de la Chine en Arctique, en particulier au sujet de ses investissements dans le digital. La Norvège exprime son inquiétude quant au déploiement d’un réseau de câbles de télécommunications et 5G dans la région par la Chine, qui serait en réalité des outils d’espionnage et de surveillance, menaçants la sécurité du pays. L’ambassadeur Yi Xianliang invite le ministre norvégien de la Défense à une rencontre afin de discuter du rapport et des relations sino-norvégiennes : « L’action de mon pays est mise en question, donc étant ambassadeur, je pense que je dois parler avec lui. S’il est d’accord, je suis disponible pour une rencontre. ». Il ne juge cependant pas que l’incident puisse constituer une menace pour les relations diplomatiques entre les deux pays. Il affirme que son pays « n’a aucune mauvaise intention dans la région » tout en soulignant que « la Chine sera un acteur constructif dans les affaires arctiques et sur toutes les questions pour le bénéfice des Chinois et du reste du monde ». Source : The Independent Barents Observer, 16 février 2020.
Le développement du tourisme chinois dans l’Arctique
Le concept de « Route de la Soie » a été étendu par les autorités chinoises à l’Arctique en 2015. Plus globalement, la Chine souligne l’intérêt pour les pays intégrés à la BRI (Belt and Road Initiative) que représente le tourisme chinois[1].
En 2018, le document officiel « China Arctic Policy » mentionnait le développement du tourisme dans l’Arctique comme un objectif prioritaire[2]. Les principes de durabilité sont mis en avant pour se conformer aux attentes des institutions internationales en charge de l’Arctique ainsi que pour limiter les craintes des pays riverains, notamment les pays européens. Selon le document officiel, la Chine attache une importance particulière à la limitation de l’empreinte carbone des touristes chinois dans l’Arctique, à l’éco-tourisme ainsi qu’à une relation bénéfique pour les peuples indigènes. Dans le même temps, le document souligne la nécessité d’assurer la sécurité des touristes chinois dans la région.
Si les pays nordiques ont exprimé une certaine méfiance, la Russie en revanche a choisi d’accueillir sans réticence les touristes chinois, en diffusant par exemple des légendes censées les attirer, comme les vertus bénéfiques des aurores boréales sur la procréation[3]. Les touristes chinois représentent désormais 20% des clients des agences spécialisées à Mourmansk et le nombre total est passé de 4 000 touristes chinois en 2016 à plus de 20 000 en 2019.
La fermeture de la frontière russe à la suite de l’épidémie de coronavirus a toutefois mis un coup d’arrêt, peut-être provisoire, à cette montée en puissance du tourisme chinois dans l’Arctique.
La Chine de plus en plus active en Arctique
De nouvelles analyses internationales attestent du regain d’activité de la Chine dans l’Arctique, dont les efforts reposent sur deux piliers fondamentaux : le financement de projets infrastructurels et la croissance des capacités liées à la recherche chinoise (IISS 2020 : source EN). Deux ans se sont écoulés depuis la publication de la stratégie arctique chinoise (Livre Blanc) et les efforts de la Chine n’ont cessé de croître ; protéiformes, ils s’incarnent à travers des projets divers du financement des activités énergétiques russes en péninsule de Yamal au lancement de brise-glaces modernes.
The 6th International Symposium on Arctic Research (Japon)
Le Japan Consortium of Arctic Environmental research (JCAR) en charge de l’organisation du sixième International Symposium on Arctic Research (ISAR-6) a annoncé le report de la conférence qui devait se tenir au mois de mars 2020 en raison de la crise sanitaire du coronavirus 19.
Les thématiques envisagées permettent toutefois de confirmer l’intérêt du Japon pour l’Arctique et la mobilisation de nombreuses institutions dont le National Institute of Polar Research, le Japan Institute for Marine Earth Science Technology, l’Université de Hokkaido et le Japan Arctic Research Network Center. Le programme envisagé consolide l’élaboration d’un discours qui met en avant les principes de qualité, de responsabilité et de « durabilité », qui constituent les thèmes récurrents des engagements multilatéraux du Japon.
La mise en avant de la nécessité d’améliorer la connaissance environnementale pour mieux équilibrer les projets d’exploitation des ressources et le développement des activités économiques, dont le transit le long de la route du nord, est une réponse indirecte qui permet à Tokyo de se positionner face aux projets chinois de route de la soie arctique.
Si l’intérêt pour les questions environnementales liées à l’Arctique est réel, il s’agit aussi d’un moyen d’action au service de la stratégie extérieure du Japon.
[1] https://www.yidaiyilu.gov.cn/xwzx/gnxw/76899.htm
[2] http://english.www.gov.cn/archive/white_paper/2018/01/26/content_281476026660336.htm
[3] Isabelle Khurshudyan, « Northern Light », The Washington Post, 21 février 2020.
Alexandre Taithe (FRS), Valérie Niquet (FRS), Antoine Bondaz (FRS), Mayline Strouk (GEG – FRS)