L’Union européenne prévoit de donner de nouvelles orientations
à sa politique arctique
Le mois d’octobre a été l’occasion pour l’Union européenne d’impulser de nouvelles orientations à sa stratégie en Arctique et de revendiquer sa volonté de peser dans la coopération régionale.
L’Union européenne a organisé les 3 et 4 octobre 2019 à Umeå, le premier EUArctic Forum, un espace de discussion réunissant des politiques, des scientifiques et des représentants des sociétés locales arctiques autour des enjeux de la région. Représentée par Marie-Anne Coninsx, ambassadrice européenne en Arctique, l’UE a exposé les trois piliers de sa politique arctique : la lutte contre le réchauffement climatique, le développement durable et la coopération régionale. Elle a affirmé la force des intérêts européens en Arctique à l’heure des bouleversements environnementaux, rappelant dans une déclaration conjointe avec la Suède que trois de ses membres sont des pays arctiques et que deux pays arctiques sont membres de l’Espace économique européen.
Par ailleurs, au-delà d’un rappel de ses intérêts en Arctique, l’Union européenne a profité de l’Arctic Circle Assembly, qui a eu lieu du 10 au 13 octobre à Reyjkavik, pour annoncer la préparation d’une nouvelle politique arctique. Celle-ci poursuivrait les orientations déjà données dans le précédent document qui avait été présenté en 2016, mais qui est considéré comme « dépassé » par Marie-Anne Coninsx. La nouvelle politique arctique de l’Union européenne développerait un nouvel axe stratégique afin de renforcer la coopération régionale. Il pourrait s’agir, comme le rapporte le Barents Observer, de créer une nouvelle instance de coopération, indépendante du Conseil de l’Arctique, et uniquement orientée autour des questions sécuritaires dans la région : « notre nouvelle stratégie devra répondre aux enjeux sécuritaires, parce que les développements dans la région affectent le ’’statu-quo sécuritaire’’ (’’security situation’’) ». Cette nouvelle organisation permettrait à l’Union européenne de se ménager une position privilégiée dans la coopération arctique, alors qu’elle n’est pas encore reconnue comme observateur permanent du Conseil de l’Arctique. En créant un forum traitant de « sécurité dure », elle s’imposerait comme un acteur majeur dans un domaine de coopération qui n’est pas traité par le CA.
Cette dynamique est renforcée par la position de la Finlande comme président du Conseil européen de juillet à décembre, et dont le Premier ministre Antti Rinne a déclaré lors de l’Arctic Circle qu’« il devrait y avoir plus d’UE en Arctique et plus d’Arctique dans l’UE ».
L’Ecosse publie sa politique stratégique pour l’Arctique
Le gouvernement écossais a présenté le 23 septembre 2019 son premier document officiel relatif à sa stratégie pour l’Arctique, intitulé « Arctic Connections. Scotland’s Arctic Policy Framework ». Il entend affirmer les liens qui unissent l’Ecosse à l’Arctique et développer la coopération régionale.
Le gouvernement écossais, par l’intermédiaire de sa secrétaire des Affaires extérieures Fiona Hyslop, a dévoilé le 23 septembre dernier à Stromness, dans l’archipel des Orcades, sa première politique stratégique pour l’Arctique. Le choix même du lieu n’est pas anodin puisqu’il entend témoigner de la proximité géographique et culturelle de l’Ecosse et de l’Arctique, alors que les Orcades ont été un territoire du royaume norvégo-danois jusqu’au milieu du 15ème siècle. Le document entier vise à mettre en lumière l’importance des liens qui unissent l’Ecosse à l’Arctique et affirmer la position du pays comme acteur légitime dans la région, par son engagement passé et dans ses développements futurs.
La publication du document fait suite à une série d’engagements écossais dans la région, depuis l’intervention de Nicholas Sturgeon à l’Arctic Circle de 2016, où il avait déclaré que les frontières de l’Ecosse étaient plus proches de l’Arctique que de Londres et affirmé son ambition de renforcer ses engagements dans le Grand Nord. Dans un contexte plus immédiat, le Brexit est l’occasion pour l’Ecosse de s’émanciper du Royaume-Uni en développant des partenariats avec d’autres régions, en particulier les pays nordiques.
Le Scotland’s Arctic Policy Framework poursuit cette dynamique autour de deux axes. Le premier souligne les différents liens qui unissent l’Ecosse et l’Arctique, tant sur les plans historique que culturel, social et économique. Le second axe du document est centré autour de la coopération, une coopération à la fois passée, présente et future. Le dossier est ainsi divisé en plusieurs parties thématisées autour de l’éducation, la recherche, l’innovation, la culture, la ruralité, l’environnement et le changement climatique ainsi que le développement économique durable. Pour chaque section, un ensemble d’enjeux communs est présenté et des perspectives de coopération entre l’Ecosse et l’Arctique sont proposées. En particulier, l’Ecosse prévoit de créer un département Arctique au sein de son ministère des Affaires extérieures afin de guider ses engagements futurs dans la région. Elle propose également de mettre en place un fonds commun d’investissement avec des pays arctiques pour soutenir des projets de développement dans la région et renforcer la coopération.
Baptême du brise-glace Sir David Attenborough
Baptême du nouveau brise-glace britannique RRS Sir David Attenborough.
Le baptême du navire de recherche polaire RRS Sir David Attenborough au chantier Cammell Laird à Birkenhead, en Grande-Bretagne, a eu lieu le 26 septembre 2019. Le Sir David Attenborough mesure 129 mètres de long et peut casser la glace jusqu’à un mètre d’épaisseur à trois nœuds. L’équipage est composé de 30 personnes et peut transporter jusqu’à 60 scientifiques et du personnel de soutien. Il effectuera ses essais dans la glace dans l’hémisphère nord à partir de mars 2020 et son entrée en service est prévue pour octobre 2020. L’Attenborough devrait remplacer les deux navires exploités jusqu’alors par le British Antarctic Survey, le RRS Ernest Shackelton dorénavant affrété par les Italiens et le RRS James Clark Ross qui arrive en fin de vie. (Sources : Artic Today ; gCaptain ; Barents Observer ; YouTube)
Brise-glace italien Laura Bassi
Le brise-glace RRS Ernest Shackelton du British Antarctic Survey change d’armateur et devient italien sous le nom de Laura Bassi.
Avec la mise en service du brise-glace anglais RRS Sir Attenborough, le navire RRS Ernest Shackelton au service du British Antarctic Survey pendant 20 ans a été affrété à long terme par les Italiens. Ce cargo à coque renforcée de classe 1AS, rebaptisé « Laura Bassi », mènera des activités de recherche dans l’Arctique et l’Antarctique pour le compte de l’Institut national d’océanographie et de géophysique expérimentale. Il mènera également des activités de soutien logistique de la base italienne « Mario Zucchelli » dans la mer de Ross en Antarctique. (Source : ilfriuli)
La Suisse présente sa nouvelle politique arctique,
centrée autour de la coopération scientifique
Représentant la Suisse à l’Arctic Circle qui a eu lieu du 10 au 12 octobre à Reykjavik, l’ambassadeur Stefan Estermann a tenu un discours sur l’engagement suisse en Arctique et présenté les principes de la nouvelle politique de la Suisse pour la région.
Stefan Estermann a tout d’abord insisté sur les similarités entre la Suisse et l’Arctique, en termes paysagers et de risques climatiques et environnementaux. Il souligne l’importance de ce lien en nommant la Suisse « nation arctique verticale » « vertical Arctic nation »), faisant référence à son territoire à majorité composé de glaciers et de hautes montagnes. Cette similarité, complétée par un investissement suisse dans le domaine scientifique et de la coopération régionale (avec l’adhésion depuis 2017 de la Suisse comme État observateur du Conseil de l’Arctique), justifie, selon lui, la formulation d’une nouvelle politique arctique. Celle-ci repose sur six piliers : 1. Soutenir la recherche arctique suisse et les institutions d’éducation ; 2. Promouvoir la coopération scientifique internationale ; 3. Tirer parti des capacités des fondations et du secteur privé ; 4. S’engager dans le dialogue international en Arctique ; 5. Promouvoir les actions luttant contre les changements environnementaux ; 6. Montrer sa solidarité avec les populations indigènes.
Il faut surtout retenir la volonté de la Suisse de s’investir en Arctique à travers le champ de la recherche. La coopération scientifique est la principale modalité de son engagement dans le Conseil de l’Arctique. Stefan Estermann a rappelé que la formulation d’une politique suisse pour l’Arctique répond essentiellement à une demande des chercheurs suisses travaillant dans la région et nécessitant une orientation claire de leur rôle, alors qu’il a insisté sur leur participation à plusieurs groupes de travail du Conseil de l’Arctique. Pendant la session de questions-réponses organisée après son discours, Stefan Estermann a cependant évoqué les enjeux stratégiques limitant le déploiement de programmes de recherche conjoints, en particulier le projet GLACE, dont l’objectif est d’effectuer le tour des côtes groenlandaises, reporté car n’ayant pas obtenu l’aval du gouvernement danois.
KOGAS en discussion avec NOVATEK et GAZPROM
En marge du Eastern Economic Forum de Vladivostok, le Directeur général de KOGAS a rencontré ses équivalents russes pour accroître les importations coréennes de GNL russe.
La Corée cherche à développer son réseau d’importation de gaz naturel liquéfié (GNL) en amplifiant sa coopération avec la Russie. Dans ce cadre, le Directeur général (DG) de KOGAS a rencontré le DG de NOVATEK et le DG GAZPROM en marge de l’Eastern Economic Forum à Vladivostok. Avec le premier a été évoqué la participation de l’entreprise coréenne dans le projet Arctic Liquefied Natural Gas-3. Avec le second a été mentionné la nécessité de renforcer la coopération stratégique. Chae Hee-bong a notamment mis en avant le peu de diversification de sources d’approvisionnement coréennes de GNL (38% du Qatar, 14% Australie et 11% Oman), alors que les contrats avec le Qatar et Oman doivent être renégociés en 2024. La Russie apparaît comme un partenaire idéal pour des raisons de coûts, de proximité, mais aussi pour des raisons politiques du fait d’un soutien politique fort à Séoul dans le cadre de la New Northern Policy.
La Corée du Sud fait partie du projet de recherche MOSAiC
Dans le cadre de ce projet de recherche international rassemblant 900 chercheurs et 19 pays, le KOPRI coréen est en charge de la télédétection par satellite.
MOSAiC est le plus grand projet de recherche international dans l’Arctique (cf. bulletin précédent), région où le brise-glace de recherche allemand Polarstern passe un an à dériver dans l’océan afin d’analyser de façon exhaustive les changements environnementaux dans la région. Parmi les 19 pays engagés, la Corée du Sud participe à travers le KOPRI. Sa mission est d’aider à la télédétection par satellite en utilisant les satellites coréens Arirang 2, Arirang 3 et Arirang 5, afin d’identifier les caractéristiques de la glace sur le trajet du brise-glace. L’objectif affiché par les Coréens est d’utiliser ces observations pour améliorer la précision du système actuel de prévision des glaces en Arctique.
Japon : l’Arctique dans le livre blanc de la défense 2018
Le livre blanc de la défense du Japon[1] développe une section consacrée à l’Arctique depuis 2018. Les ambitions chinoises et « l’implication active » dans la zone sont spécifiquement mentionnées, au triple niveau de l’interprétation des textes et du statut de pays observateur « le plus proche de l’Arctique » revendiqué par Pékin et de l’exploitation des ressources avec l’intégration de l’Arctique au concept de « routes de la soie ». Les ambitions de l’APL. Ces ambitions sont évoquées en relation avec le premier passage de bâtiments de l’APL dans le Détroit de Béring en 2015, et en liaison avec le développement global de la puissance chinoise dans la zone.
La Russie fait l’objet d’une attention plus longue. Tokyo note l’intensification des activités militaires russes depuis la constitution du Northern Joint Strategic Command.
Mais si les positions de Tokyo sont proches des analyses américaines qui dénoncent une action « russo-chinoise » dans l’Arctique, le livre blanc souligne aussi les tensions potentielles entre Moscou et Pékin, notamment dans l’interprétation des règles de l’UNCLOS, l’accès à la route du Nord, du contrôle des ZEE et de l’exploitation des ressources. Ces éléments entrent en contradiction avec les intérêts nationaux de la Russie.
Le développement des capacités satellitaires chinoises dans le contexte de l’Arctique
La coordination entre capacités civiles et militaires en Chine trouve une de ses traductions dans le développement des capacités satellitaires d’observation, au service des progrès de la présence chinoise dans l’Arctique.
Selon un argumentaire décliné dans différents secteurs, il s’agit pour Pékin d’améliorer les capacités d’observation du niveau des glaces, des fonds marins et des évolutions climatiques, ce dernier point permettant d’intégrer la stratégie chinoise aux priorités exprimées par d’autres acteurs globaux, dont la France. L’ensemble de ces observations sont toutefois vitales pour la navigation des brise-glaces chinois dans l’Arctique.
Si les brise-glaces Xuelong, et les satellites d’observation, ont un statut « civil », la technologie satellitaire a toutefois également été identifiée comme une priorité permettant de renforcer les capacités opérationnelles de l’APL, notée par le dernier document du département de la Défense et par l’Agence de défense suédoise qui s’inquiète du développement des capacités de la Chine dans l’Arctique, et le rôle des satellites d’observation[2].
Ces capacités sont à rapprocher du lancement en 2018 du Xuelong 2, premier brise-glace construit par la Chine en coopération avec des chantiers finnois, dont la première mission – dans l’Antarctique – a eu lieu au mois d’octobre 2019.
Le satellite d’observation HY-2, développé par le National Ocean Satellite Application Center, est utilisé d’une manière opérationnelle pour la navigation du brise-glace Xuelong 1 dans l’Arctique. Plus spécifique, le satellite BNU-1 (Jingshi 1) lancé le 9 septembre 2019 est le premier satellite d’observation polaire, dont les informations sont décrites comme renforçant les capacités de la Chine dans la zone[3].
L’Inde réaffirme ses intérêts en Arctique
L’Inde, représentée par son ministre d’État aux Affaires extérieures, participait au Forum EUArctic, organisé par la Commission européenne à Umeå, en Suède, les 3 et 4 octobre 2019. L’occasion de renouveler son engagement dans la région.
Quelques représentants d’États non-arctiques ont pris part au forum EUArctic : Malte, la Lettonie et l’Inde. Si la venue des deux premiers peut être justifiée par leur appartenance à l’Union européenne, organisateur de l’événement, l’Inde ne s’est déplacée qu’à la force de ses intérêts en Arctique. Le ministre des Affaires extérieures indien Vellamvelly Muradleedharam a profité de sa participation à la réunion « International cooperation in the Arctic » aux côtés de sept autres ministres pour réaffirmer les différents enjeux qui lient l’Inde à l’Arctique. En particulier, il a rappelé que les conséquences des bouleversements environnementaux brutaux dans la région ne se limitent pas à l’Arctique, mais s’étendent à son pays, notamment sur le cycle des moussons : « Les effets du réchauffement climatique en Arctique sont ressentis à l’échelle mondiale. (…) L’Arctique et l’océan Indien sont connectés. Ce qui se passe là-bas affecte les moussons indiennes, augmente le niveau des mers et influence notre agriculture. ».
État observateur du Conseil Arctique depuis 2013, l’Inde s’investit de plus en plus dans la région. En particulier, le forum EUArctic a été l’occasion de renouveler son engagement dans le domaine scientifique : « L’Inde a une présence scientifique dans la région depuis longtemps. Nous serons heureux de partager notre expérience et nos connaissances pour le bien global et le développement durable en Arctique » a déclaré V. Muradleedharam. Le pays a en effet inauguré en 2008 sa station de recherche polaire Himadri à Ny-Ålesund, dans l’archipel du Svalbard (Norvège). Elle participe également à l’expédition MOSAiC qui réunit depuis Septembre 2019 trois cents chercheurs du monde entier pour l’étude scientifique la plus ambitieuse jamais menée sur le pôle Nord.
Quelques semaines avant la participation indienne au forum EUArctic, le chercheur indien Uttam Kumar Sinha a rappelé dans un article pour l’université de Saint-Pétersbourg les différentes modalités de l’investissement de l’Inde en Arctique, en insistant sur son engagement scientifique mais aussi sur le développement de relations bilatérales voire multilatérales avec la Russie et la Norvège en matière économique et énergétique.
En marge du forum, le représentant indien a rencontré son homologue suédoise ainsi que la princesse Victoria de Suède, afin de renforcer les relations bilatérales commerciales entre les deux pays. De même, il s’est entretenu avec la présidente du Conseil Saami, affirmant la position de l’Inde comme interlocuteur légitime dans la région.
Le mois dernier, l’Inde avait déjà réaffirmé son engagement en Arctique à l’occasion d’une réunion bilatérale à Vladivostok entre le Premier ministre Narendra Modi et le Président Vladimir Poutine. Leur déclaration conjointe rend compte de la volonté indienne de coopérer avec la Russie dans de futurs projets de développement qui connecteront l’Arctique russe et l’océan Indien, en particulier dans le domaine énergétique et dans les transports (une future liaison maritime devrait ainsi connecter Vladivostok à Chennai).
[1] Trends in Arctic Ocean, Defense White Paper 2018, Tokyo, Ministère de la Défense.
[2] Heljor Havnes, Johan Martin, The Increasing Security Focus in China’s Arctic Policy, The Arctic Institute, 16 juillet 2019.
[3] « China’ First Polar Observation Satellite Supports Polar research », https://www.chinadaily.cn.com.
Alexandre Taithe (FRS, coordinateur), Valérie Niquet (FRS), Antoine Bondaz (FRS), avec des compléments d’Hervé Baudu (ENSM)