Mystères autour de l’accident nucléaire de Nenoksa
Un accident de nature radioactive sur le site d’essai militaire de Nenoska, à proximité d’Arkhangelsk est intervenu le 8 août 2019. Depuis, la gestion de cette crise par les autorités russes a semé le trouble sur l’ampleur et la réalité de cet accident.
Dans la matinée du 8 août, un accident de nature radioactive est intervenu sur la base militaire de Nenoksa, proche d’Arkhangelsk. Le journal local en ligne 29.ru a été le premier à rapporter les faits. Les informations ont fait état d’une augmentation du rayonnement radioactif dans la ville de Severodvinsk où des capteurs ont donné l’alerte sur le niveau de radioactivité sur la zone. Ainsi, un niveau de radiation de 2 microsieverts par heure a été relevé à son maximum avant de retrouver un niveau normal à 0,3 microsieverts par heure (29.ru).
La communication des autorités publiques autour de cet accident reste pour l’heure assez trouble. Rosatom a indiqué le 10 août le décès de cinq de ses employés à la suite de cet incident (Communiqué de presse de Rosatom). Au 24 août, le nombre total de victimes est porté à sept décès et six blessés (The Independent Observer). Néanmoins, des informations provenant des services médicaux sur place révèlent une forte opacité sur la gestion post-accident par les autorités publiques. En effet, un chirurgien du centre régional hospitalier d’Arkhangelsk rapporte que « personne – ni les directeurs d’hôpitaux, ni les responsables du ministère de la Santé, ni les responsables régionaux ni le gouverneur – n’a informé le personnel que les patients étaient radioactifs » (The Moscow Times). Une situation qui a fait dès lors entorse au protocole de gestion des patients radioactifs et des mesures adéquates de radioprotection pour les médecins et le personnel hospitalier. Face à une gestion post-accident qui interroge lourdement, l’évolution de cette affaire est à suivre attentivement.
L’ambition minière de la Russie en Arctique
Malgré les effets dommageables sur l’environnement, le développement des activités minières dans l’espace arctique russe est durablement ancré dans les priorités stratégiques du gouvernement russe. Une orientation politique qui s’oppose aux efforts internationaux pour réduire les émissions de CO2.
L’extraction des ressources naturelles dans les confins arctiques russes semble trouver une nouvelle dynamique dans la péninsule de Taymyr. Parmi les ressources, l’extraction houillère paraît connaître un renouveau en Russie. Depuis une décennie, la production du charbon est en constante augmentation, de près de 30%. La production annuelle atteint désormais 440 millions de tonnes (The Independent Barents Observer). Parallèlement, les investissements dans ce secteur minier ont connu une augmentation de 150% sur la même période.
La société russe Vostok Ugol, principal acteur de l’extraction de charbon dans cette région russe, a obtenu ses premières licences dès 2014. Depuis, le groupe minier s’est positionné comme un interlocuteur incontournable détenant à présent plus de 50 licences d’exploitation dans la péninsule. Vostok Ugol estime que les réserves de charbon seraient évaluées à plusieurs centaines de milliards de tonnes constituant une des plus grandes réserves au monde.
Toutefois, d’autres sociétés minières semblent s’intéresser à la péninsule du Taymyr, et ce avec l’encouragement du gouvernement russe. Ainsi, l’entreprise Severnaya Zvezda, propriétaire de l’oligarque russe Roman Trotsenko, y détient une licence d’exploitation (gisement de Syradasyaskoye). Les réserves de ce gisement sont évaluées à 5,7 milliards de tonnes de charbon et la production annuelle pourrait atteindre 10 millions de tonnes par an. Avec un investissement à hauteur de 35 milliards de roubles (environ 476 millions d’euros), l’exploitation minière pourrait débuter dès 2020. Ce nouvel entrant dans le secteur minier bénéficie d’appuis au sein du gouvernement russe, mais aussi au sein de grands groupes publics. Roman Trotsenko est un ancien conseiller d’Igor Setchine, président du groupe Rosneft (The Independent Barents Observer).
Si les autorités russes semblent aussi enclines au développement des exploitations minières dans leur espace arctique, la perspective du développement du trafic maritime sur la Route maritime du Nord (NSR) en constitue une des principales raisons. En développant sa filière de charbon dans son espace septentrional, la Russie espère légitimement augmenter par effet de levier le trafic maritime en exportant cette matière première. Alors que le président russe Vladimir Poutine ambitionne le transport de 80 millions de tonnes par an de biens transitant par la NSR d’ici 2024, le charbon constitue, par son volume, une marchandise de choix.
Norilsk, premier site mondial de pollution au dioxyde de soufre
Les observations satellitaires de la NASA mettent en avant une pollution majeure au dioxyde de soufre (SO2) depuis les cheminées du site industriel de Norilsk sur l’ensemble de la péninsule de Taymyr. Ces observations mettent à l’épreuve la politique environnementale du groupe Norilsk Nickel.
Les données des observations satellitaires de la NASA offrent un sombre constat sur la pollution atmosphérique sur Norilsk et l’ensemble de la péninsule de Taymyr. En effet, les relevés pour l’année 2018 évaluent à 1,9 million de tonnes le niveau des émissions de dioxyde de soufre. Basée sur l’étude de 500 différents sites à travers le monde, il s’agit du plus grand site mondial d’émissions de SO2 de la planète (Cartographie pollution de SO2).
Bien qu’une baisse de 200 000 tonnes ait été observée par rapport à 2017, le niveau des émissions demeure trois fois supérieur au niveau des émissions de Kriel, site sud-africain de production de charbon, deuxième plus gros émetteur de SO2. Les fonderies de Norilsk représentent 50% des émissions de dioxyde de soufre de la Russie dans son ensemble (Rapport de Greenpeace). Le groupe Norilsk Nickel tente de progressivement réduire le niveau d’impact de ses infrastructures industrielles présentes dans l’Arctique russe.
En effet, le groupe russe met en œuvre une modernisation de l’ensemble de l’appareil industriel sur les différents sites en Arctique. En 2016, Norilsk Nickel a signé un contrat à hauteur de 1,7 milliard de dollars US avec SNC-Lavalin Inc., entreprise canadienne, afin de réduire les émissions de dioxyde de soufre. Le projet vise avant tout la fonderie Nadezhda, cœur du système de production du groupe russe à Norilsk. Au moment de la signature de l’accord, les nouvelles infrastructures qui visent à capturer et séquestrer une partie des émissions de SO2 devaient être opérationnelles à partir de 2020 (The Independent Barents Observer). À ce jour, aucune information n’a été dévoilée concernant le calendrier de la mise en route de cette nouvelle technologie sur le site de la fonderie Nadezhda.
Route maritime du Nord : coopération incertaine entre la Norvège et la Russie
Encadrée par les autorités russes, la Route maritime du Nord semble constituer un frein dans le développement de la coopération entre la Norvège et la Russie. Le gouvernement norvégien semble douter de la viabilité économique de ce projet.
Alors que les autorités russes multiplient les projets structurels afin de viabiliser le développement de la Route maritime du Nord (NSR), la Norvège s’interroge sur sa faisabilité et sa rentabilité économique. Selon la ministre des Affaires étrangère norvégienne, Ine Eriksen Søreide, des incertitudes demeurent concernant les conditions de sécurité pour la navigation dans les eaux arctiques russes. En particulier, elle souligne « l’insuffisance des infrastructures et les conditions des opérations de recherche et de sauvetage » (Izvestia).
Cette prise de position singulière s’inscrit dans un contexte de dégradation diplomatique avec son voisin. Face à ce nouveau contexte géopolitique, la Norvège prépare son prochain livre blanc sur l’Arctique, dont la publication est prévue pour l’automne 2020. Le gouvernement norvégien s’inquiète de la direction autoritaire dans lequel la Russie semble s’engouffrer (The High North News). De facto, le fossé qui se creuse entre les deux pays fragilise l’élaboration de nouveaux espaces de coopération. Parmi ceux-là, la NSR apparaît comme une plate-forme de dialogue et de coopération pour renouveler une relation bilatérale qui s’essouffle depuis la crise ukrainienne en 2014.
Et le développement de la Route maritime du Nord semble pâtir de ce nouveau paradigme où le rôle de la Norvège dans ce projet géostratégique est marginal. Nikolaï Korchunov, ambassadeur spécial russe pour la coopération internationale dans l’Arctique, estime que la question de la NSR ne concerne que la coopération entre Moscou et Pékin. Les deux pays coopèrent conjointement dans le développement des infrastructures sur cette voie maritime (Izvestia). Pris sous cet angle, la Norvège n’est pas considérée comme un partenaire, et apparaît comme un observateur extérieur pour les autorités russes.
Ce gap stratégique entre la Norvège et la Russie pourrait dès lors influencer les projets de développement du côté de la Norvège. Récemment, la société de croisière Hurtigruten a vu son autorisation de navigation retirée pour ses trajets entre Tromsø et l’archipel François-Joseph, programmés pour août et septembre 2019. Rosmorrechflot, l’agence fédérale russe en charge de la navigation maritime et fluviale, a justifié ce retrait par une mésestimation des conditions des glaces de mer autour de l’archipel. Or la catégorie des navires de croisière affrétés ne correspondait pas à cette exigence (The Independent Barents Observer). Par cette décision, la Russie démontre qu’elle possède un levier à l’encontre des sociétés norvégiennes qui souhaitent emprunter la NSR.
La Russie déploie un système de missile à proximité de la frontière norvégienne
Début août 2019, la Russie a déployé un système de missile « Bal » le long de la côte de la péninsule de Kola. Ce système de missile, à 70 kilomètres du système de radar Vardø, a une portée de 150 kilomètres. Un exercice de tirs est programmé cet automne.
La flotte du Nord a informé par voie de communiqué qu’elle a déployé le système de missile « Bal » sur la péninsule de Sredny, sur la côte de la mer de Barents. Cette péninsule se situe à quelques dizaines de kilomètres de la frontière avec la Norvège. Selon les termes du communiqué, ce système a été conçu pour « détruire des cibles de surface jusqu’à 150 km ». Le ministère de la Défense russe indique que des tirs auront lieu à l’automne dans le cadre d’un exercice par les forces armées de la flotte du Nord (Communiqué du ministère de la Défense russe).
Ce système de missile, mis en service en 2004 et modernisé depuis, est d’abord destiné à frapper les navires de surface. Néanmoins, son usage peut être également dirigé à l’encontre de cibles terrestres selon ces caractéristiques. Dès lors, le déploiement de ce système de missile apparaît être la réponse à la construction d’un nouveau radar à Vardø, côté norvégien (voir Bulletin n°1 – Juin 2019).
Accord pour la construction d’un terminal entre le ministère de la Défense russe et Novatek
Le groupe russe Novatek a trouvé un accord avec le ministère russe de la Défense pour la construction d’un terminal de rechargement dans la baie d’Ura, à proximité d’une base de sous-marins nucléaires dans la péninsule de Kola.
Dans le cadre de ses projets de développement d’extraction de gaz naturel dans la péninsule de Yamal, Novatek a planifié la construction d’infrastructures complémentaires. Celles-ci entendent répondre aux défis logistiques des futures opérations pour exporter le gaz naturel liquéfié sur le marché international.
Ainsi, Novatek souhaite la construction d’un terminal de rechargement dans la baie d’Ura, située dans la péninsule de Kola. Le site choisi par le groupe russe se situe à proximité de Vidyaevo, où se trouve une base de la flotte du Nord. Ville fermée, Vidyaevo abrite une partie des sous-marins nucléaires de la flotte du Nord. Libre de glace toute l’année, la baie est un lieu favorable pour le transport et la logistique (The Independent Barents Observer).
L’accord entre le groupe russe et le ministère russe de la Défense concrétise le projet dont les opérations du futur terminal doivent débuter à partir de 2022. Le directeur général du groupe Novatek, Leonid Mikhelson confirme l’accord entre Novatek et les autres partenaires et précise que les opérations de rechargement s’effectueront, de manière temporaire, sur l’île Kidlin avec un soutien du port de Mourmansk (Reportage vidéo de la chaîne russe Vesti Murman).
Florian Vidal (GEG) avec des compléments de Fabien Carlet et d’Hervé Baudu