Le Groenland réunit, aux yeux de Pékin, le double avantage de ressources abondantes et de besoins tout aussi importants en termes de développement. Toujours rattaché au royaume du Danemark, le Groenland – 57 000 habitants – a été doté d’un statut d’autonomie en 1979. Ce statut a été renforcé en 2010 avec notamment la prise de contrôle de la gestion des ressources de l’île par le gouvernement groenlandais, inaugurant une période nouvelle qui a vu un accroissement significatif de l’intérêt de la Chine pour ce territoire.
Cette autonomie renforcée s’est toutefois accompagnée d’un gel des dotations accordées par le gouvernement danois, qui impose aux autorités de Nuuk de rechercher de nouvelles sources de revenus dans la perspective d’une éventuelle indépendance.
Dans ce contexte, l’exploitation de très riches ressources naturelles est apparue comme une voie particulièrement prometteuse. En 2013, le parlement groenlandais a ainsi adopté une loi levant l’interdiction d’exploration de l’uranium, l’objectif étant de lever tous les obstacles aux investissements étrangers.[1]
Si, aujourd’hui, 90 % des exportations du Groenland sont constituées des produits de la pêche, le Groenland est également particulièrement riche en ressources minières. 25 % des réserves mondiales de terres rares se trouveraient dans son sous-sol, mais l’importance des réserves potentielles en minerais de fer, zinc, cuivre, métaux précieux, hydrocarbures ou uranium est également mise en avant.[2]
A la recherche d’investisseurs et de partenariats étrangers susceptibles de l’aider à devenir en une « nation minière », les autorités groenlandaises se sont notamment tournées vers la Chine en mettant en avant la complémentarité des deux économies.[3]
Multiplication des contacts diplomatiques
Depuis 2010, les contacts entre le Groenland et la Chine au niveau bilatéral et dans le cadre des relations entre le Danemark et la Chine se sont multipliés.
Dès 2011, le ministre groenlandais de l’Industrie et des Ressources naturelles Jens Erik Kirkegaard s’est rendu à Pékin où il a été reçu par Li Keqiang, alors vice-premier ministre. En 2012, il fera partie, avec le Premier ministre groenlandais Kujiik Kleist, de la délégation invitée à rencontrer le Président Hu Jintao à l’occasion de la visite de ce dernier au Danemark. En 2013, le ministre groenlandais de l’Industrie et des Ressources naturelles s’est à nouveau rendu en Chine où il a exprimé à nouveau l’intérêt de son gouvernement pour une coopération accrue avec la Chine. En 2014, le vice-ministre groenlandais des Affaires étrangères Kai Andersen en visite à Pékin avec l’ambassadeur danois pour l’Arctique s’est entretenu avec les représentants de deux entreprises minières chinoises.[4]
Signe de cet intérêt, la base de données Wanfang data (万方数据 wanfang shuju), la plus grande base de données d’articles scientifiques en chinois, comporte plus de 800 articles consacrés en partie ou en totalité au Groenland, 77 % étant consacrés aux sciences de la Terre et à l’environnement.[5]
La relation bilatérale entre la Chine et le Groenland s’inscrit dans le cadre plus large des relations entre Pékin et Copenhague, et plus généralement dans celui de l’intérêt de la Chine pour l’Arctique. En 2008, le Danemark a mis en place un partenariat stratégique avec la Chine. Signe de l’intérêt de Pékin, il s’agit du seul pays nordique à être entré dans ce type de partenariat avec la République populaire de Chine. Ce partenariat sera « approfondi » à l’occasion de la visite du ministre danois des Affaires étrangères en Chine en 2015.[6] En 2016, le Président Xi Jinping réaffirmera à nouveau la volonté de Pékin de renforcer les liens entre la Chine et le Danemark en recevant le vice-premier ministre danois Lars Loekke Rasmussen.[7]
Premières prises d’intérêt
Concrétisation de cette active diplomatie des ressources de la part de Pékin, qui correspond aux attentes des autorités groenlandaises, plusieurs projets ont pu être amorcés dans le secteur minier.
Depuis 2009, les compagnies Jiangxi Zhongrun Mining et Jiangxi Union Mining sont présentes dans des projets d’exploration des ressources en cuivre et en or.[8]
En 2015, la compagnie financière et de commerce, spécialisée dans les matières premières General Nice, basée à Hong Kong, a racheté à London Mining, qui la détenait depuis 2005, la mine de fer de Isua, dont le projet de développement, qui comporte également d’importantes infrastructures portuaires et de transport, est estimé à plus de 2 milliards de dollars.[9]
Au mois de septembre 2016, la compagnie chinoise China General Nuclear Power Group (CGN) est entrée à hauteur de 12,5 %, aux côtés de la compagnie canadienne Cameco dans le projet d’exploration d’uranium de Kvanefjeld.[10]
Mais la Chine pourrait également s’intéresser au secteur pétrolier. Un article publié en 2013 à Pékin était consacré aux réserves pétrolières et gazières peu explorées des régions côtières orientales du Groenland.[11]
Des attentes déçues ?
Toutefois, si ces projets d’investissement ont eu un écho important, aucun ne semble aujourd’hui en passe d’être développé significativement dans un avenir proche et la pérennité de l’intérêt économique de la Chine pour le Groenland doit être relativisée.
La conjonction d’une surproduction d’acier que les autorités tentent de contrôler et d’un fort ralentissement de l’économie chinoise (10,6 % en 2010-6,5 % en 2015), qui a contribué à freiner la demande et peser sur les prix des matières premières et de l’énergie, est défavorable à la poursuite d’investissements très coûteux dont la rentabilité est aujourd’hui remise en cause.
Si le réchauffement climatique peut faciliter l’exploitation des ressources du Groenland, les conditions demeurent très difficiles et les coûts potentiellement très élevés, plaçant le Groenland loin derrière d’autres régions plus accessibles où la Chine demeure très active, en Australie, sur le continent africain ou en Amérique latine.
Les importantes réserves de terres rares pourraient également voir leur intérêt diminuer avec la fin des quotas d’exportation chinois à la suite des décisions de l’OMC. Enfin, l’exploitation des mines d’uranium suscite une forte opposition au Danemark mais aussi au Groenland, et le Parti Inuit Atagatigiit, arrivé en tête lors des élections législatives groenlandaises de 2014, pourrait être favorable au rétablissement de l’interdiction d’exploration des mines d’uranium même si les autorités de Nuuk ont réaffirmé leur attachement à une stratégie de développement fondée sur les ressources minières. Toutefois, la sévérité des réglementations sociales et environnementales au Groenland constitue pour des entreprises chinoises, habituées à des conditions plus « souples » sur d’autres continents, un obstacle significatif.
En revanche, la Chine pourrait être intéressée, notamment dans le cadre de ses grands projets de « route et ceinture de la soie » (OBOR), dont les limites sont extrêmement floues, à participer au développement des infrastructures au Groenland dans des secteurs plus diversifiés que celui des ressources naturelles.
Notes :
[1] « New Uranium Project Reports – Greenland », http://www.wise.uranium.org, 28 septembre 2016.
[2] « Denmark Welcomes China’s Arctic Role », http://www.thebricspost.com ; Martin Breum, Jorger Chemnitz, « No, Groenland Does Not Belong to China », New York Times, 20 février 2013 ; Damien Degeorges, « Greenland, A Key to Future Development in the Arctic », http://www.eu-arctic-forum.org.
[3] « Denmark Welcomes China’s Arctic Role », op. cit.
[4] Zhou Wa, « Bigger Chinese Role Sought in the Arctic », China Daily, 18 février 2014.
[5] http://www.wanfangdata.com.cn/, accédé le 28 septembre 2016.
[6] « Deepening China Danemark Comprehensive Strategic Partnership and Building a Model for China Europe Cooperation », http://www.fmprc.gov.cn, 11 mai 2015.
[7] « Xi Calls for Bigger Progress in China Danemark Ties », China Daily, 1er avril 2016.
[8] Pu Jun, « Greenland Lures China’s Mines with Cold Gold », Caixin, 12 juillet 2011.
[9] Gwladys Fouche, « Chinese Firm Unlikely to Developp 2 billions Iron Ore: Minister », Reuters, 26 janvier 2016.
[10] Anciennement China Guangdong Nuclear Group, « New Uranium Project Reports – Greenland », op. cit.
[11] Fang Yangwei, 汸杨伟, « Géologie du pétrole et du gaz et potentiel d’exploitation des marges orientales du Groenland » (东格陵兰陆架油气地质特征及勘探潜力 Dong Gelinglan lu jia you qi dizhi tezheng ji kantan qianli), Marine Geology Frontier (海洋地质前沿 Haiyang dizhi qianyan), 2013. 29,4.