La perception d’un Arctique particulièrement riche en hydrocarbure est tout d’abord portée par des faits : 400 gisements de pétrole et de gaz sont actuellement actifs en Arctique, principalement en Alaska et en Sibérie occidentale. En intégrant la Norvège, la production pétrolière en Arctique représentait 10% de la production mondiale en 2010, et 25% pour le gaz1LE MIERE Christian, MAZO Jeffrey, Arctic Opening. Insecurity and Opportunity, IISS/Routledge, 2013, 179 p..
Mais la vision d’un Arctique « eldorado » énergétique a été ravivée ces dernières années par la publication d’un court document2US Geological Survey, Circum-Arctic Resource Appraisal: Estimates of Undiscovered Oil and Gas North of the Arctic Circle, USGS Fact Sheet 2008-3049, 4 p. :
http://pubs.usgs.gov/fs/2008/3049/fs2008-3049.pdf en 2008. Produit par l’USGS (US Geological Survey), il évalue la présence d’hydrocarbure dans cette aire à hauteur de 22 % des réserves mondiales non encore découvertes, mais considérées comme techniquement exploitables. 29 % des réserves de gaz et 13 % des réserves mondiales de pétrole non découvertes se trouveraient ainsi en Arctique.
Ce travail se base sur des modèles probabilistes, et non des forages. Les explorations menées depuis se sont révélées décevantes. Outres des difficultés techniques sur trois plates-formes en 2012 (notamment liées aux conditions naturelles) et qui ont retardé la prospection, Shell a annoncé en septembre 2015 la suspension de ses activités de forage au large de l’Alaska, malgré 7 milliards de dollars investis dans les licences d’exploration dans les mers de Beaufort et des Tchouktches (certains avaient été accordés à Shell par l’administration américaine en mai 2015…).
La valorisation des hydrocarbures arctiques nécessiterait le maintien d’un prix structurellement élevé du baril, condition à une exploitation rentable de ces réserves, au moins on-shore. Dans ce dernier cas, le coût de cette exploitation serait équivalent à l’exploitation des schistes bitumineux (entre 35$ et 65$ le baril). L’off-shore, en revanche – là où se trouve l’essentiel des ressources hors Alaska – serait beaucoup plus coûteux (entre 65$ et 100$ le baril3Lloyd’s, Arctic Opening: Opportunity and Risk in the High North, Chatham House, 2012, 59 p. : http://www.chathamhouse.org/publications/papers/view/182839 ). A l’image du projet Yamal pour le gaz, la certitude de grandes réserves permet de pré-vendre la production pour les 15 à 20 années à venir, et justifie des investissements particulièrement lourds (27 milliards de dollars en 2013 : forages, exploitation des champs, flotte de méthaniers, centrale de liquéfaction, voire un nouveau gazoduc).
Si l’Arctique constitue un terrain de prospection potentiel, plusieurs arguments réduisent les perspectives d’une exploitation réelle d’ici au moins une vingtaine d’années. Au regard des conditions naturelles (retour de la banquise hivernale, tempêtes d’autant plus fortes en période de retrait des glaces…), les risques d’exploitation, que ce soit pour l’extraction ou pour le transport des hydrocarbures, demeureront élevés pour le on-shore et le off-shore. Aux coûts d’exploitation grevés par ces risques s’ajoutent les contraintes de sécurité des personnels et des bateaux et les contraintes de protection de l’environnement. Des pollutions pourraient avoir des conséquences lourdes ne serait-ce qu’en termes d’image pour l’entreprise pollueuse et pour la région, dont la qualité de préservation de l’environnement naturel est la première caractéristique. Total s’est désengagé de l’exploitation pétrolière (mais non gazière) dans cette aire, notamment pour cette raison. Des capacités de secours, de dépollution devront être planifiées et dotées. Enfin, il y a encore de nombreux territoires où la probabilité de présence d’hydrocarbures non découverts est bonne, et où les coûts et risques d’exploitation seraient bien moindres qu’en Arctique (Afrique, Amérique du Sud…).
Les hydrocarbures présents en Arctique ne devraient pas constituer un enjeu interétatique majeur. En effet, « les zones potentiellement aptes à contenir des hydrocarbures en Arctique se trouvent entre 90% et 95 % à l’intérieur de la zone territoriale des 200 milles marins »4WONG Ernest, « Geopolitics of Arctic Oil and Gas: the Dwindling Relevance of Territorial Claims », New Voices in Public Policy, vol.7, Spring 2013. (les Zones économiques exclusives) des États riverains du pôle Nord. Les revendications et contestations territoriales au-delà des ZEE auraient donc d’autres motivations que les 5 % de ressource potentielle en hydrocarbures.
1. | ↑ | LE MIERE Christian, MAZO Jeffrey, Arctic Opening. Insecurity and Opportunity, IISS/Routledge, 2013, 179 p. |
2. | ↑ | US Geological Survey, Circum-Arctic Resource Appraisal: Estimates of Undiscovered Oil and Gas North of the Arctic Circle, USGS Fact Sheet 2008-3049, 4 p. : http://pubs.usgs.gov/fs/2008/3049/fs2008-3049.pdf |
3. | ↑ | Lloyd’s, Arctic Opening: Opportunity and Risk in the High North, Chatham House, 2012, 59 p. : http://www.chathamhouse.org/publications/papers/view/182839 |
4. | ↑ | WONG Ernest, « Geopolitics of Arctic Oil and Gas: the Dwindling Relevance of Territorial Claims », New Voices in Public Policy, vol.7, Spring 2013. |