Développement rédigé par Lola Menigaux. (Juin 2018)
L’Arctique est une des régions les plus touchées par le changement climatique, avec une augmentation de température moyenne supérieure à l’augmentation mondiale, d’après les rapports du GIEC (Groupe d’experts Intergouvernemental sur l’Évolution du Climat)[1]. Ce changement peut avoir de nombreuses conséquences sur la distribution de la biodiversité dans l’océan Arctique, et donc avoir des répercussions sur la pêche.
Les variations environnementales engendrées par le changement climatique sont nombreuses, et peuvent toutes impacter les stocks de faunes marines directement et indirectement. La température moyenne devrait augmenter, avec une variation plus grande en hiver. La taille de la banquise hivernale a déjà commencé à diminuer, avec des surfaces minimales record ces deux dernières années, et cette tendance devrait s’accentuer. La teneur en sel des glaces présentes dans l’Arctique est inférieure à celle de l’océan, car l’eau salée gèle plus lentement et à des températures inférieures ; ainsi la fonte des glaces se traduit par un apport en eau moins salée que l’eau environnante et donc une diminution de la salinité des océans.[2] De plus, le CO2, en augmentation dans l’atmosphère, se dissout à la surface de l’eau et entraîne une acidification de l’océan : ce phénomène est facilité par les faibles températures, l’Arctique est donc plus atteint que d’autres océans[3]. L’augmentation de la salinité et l’acidification peuvent provoquer des modifications dans la composition chimique de l’océan.
Tous ces processus ont des conséquences sur les populations maritimes, à différents niveaux et de différentes manières. Des changements sont à attendre sur la distribution spatiale des stocks et leurs quantités. Il est cependant très difficile de déterminer l’impact précis sur chaque espèce, car il existe de nombreux paramètres à prendre en compte.
Ainsi, la température diminuant, une migration des espèces maritimes vers le Nord est attendue, avec un océan polaire moins froid, qui permet par exemple le développement d’espèces subarctiques. L’acidification, c’est-à-dire un pH moindre, peut avoir des effets négatifs sur la reproduction des espèces maritimes, et sur le bon fonctionnement des cellules de nombreuses espèces. De plus, un pH plus faible entraîne des changements de composition chimique de l’océan, et en particulier une diminution de carbonate de calcium (CaCO3), nécessaire à la formation des coquillages et des squelettes[4]. Ainsi, une migration vers le Nord pourrait être ralentie par la difficulté de la faune et de la flore à se développer dans ces nouvelles conditions.
Certaines espèces de plancton, dont le développement est favorisé par le CO2, pourraient évoluer favorablement dans ces circonstances. Le plancton est primordial dans la chaîne alimentaire maritime et sa croissance pourrait favoriser le développement d’autres espèces. Cependant, certains cristaux composant la glace se retrouveraient libérés par la fonte. Ceux-ci pourraient adhérer au plancton, dont la surface est visqueuse, ce qui l’alourdirait et l’entraînerait vers le fond de l’océan avant de pouvoir être digéré par d’autres espèces[5]. De plus, même si l’évolution peut être favorisée par le CO2, l’acidification elle-même n’est pas nécessairement propice.[6] Ainsi, l’évolution du plancton, qui est clef dans l’évaluation des migrations car centrale dans le développement d’autres espèces, pourrait être sujette à de nombreux phénomènes, ce qui rend les prévisions difficiles.[7]
Il est par conséquent pour l’instant difficile de prédire les migrations possibles des espèces et leurs quantités, et ainsi leurs impacts sur la pêche. De plus, chaque espèce risque de migrer de manière différente. Aujourd’hui, les taux de captures dans l’Arctique sont élevés principalement au Nord de l’Europe (voir Figure 1). Des migrations d’espèces vers le Nord pourraient redistribuer les taux de capture et favoriser des pays comme le Groenland, qui a un taux plutôt faible. Le maquereau par exemple a déjà commencé à s’étendre vers le nord-ouest, ce qui a créé des tensions répétées[8][9] depuis 2010 entre l’Union Européenne, la Norvège, les Îles Féroé, l’Islande[10] et le Groenland.[11] Les négociations ont été menées, ou sont en cours, sur des quotas de pêche, avec des accords entre l’UE, la Norvège et les Îles Féroé.[12] Malgré cette augmentation d’espèces de climats plus chauds vers le nord, les espèces d’eaux froides seraient plutôt en déclin en Islande, telles que le capelan.[13] Les prédictions varient en fonction des conditions d’alimentation possibles dans l’Arctique[14], qui ne sont pas déterminées avec l’évolution incertaine de plancton, et chaque espèce diffère.
Une analyse scientifique plus approfondie doit être faite afin de pouvoir déterminer des tendances sur le long terme. Un moratoire de seize ans pour interdire la pêche dans l’océan Arctique central a été signé en novembre 2017[15] afin de laisser le temps à la communauté scientifique d’évaluer la zone et la biodiversité présente, qui sont pour l’instant inconnues. Les possibilités de pêches et de quotas pourront par la suite être déterminées.[16] Les incertitudes scientifiques actuelles incitent à faire du principe de précaution le concept clef de l’activité de pêche dans cette région pour le moment.
- Taux de capture et zones économiques exclusives
Notes:
[1] http://www.ipcc.ch/home_languages_main_french.shtml
[2] Pour aller plus loin sur les impacts de la salinité : Huang et al, « Climate drift of AMOC, North Atlantic salinity and arctic sea ice in CFSv2 decadal predictions », Climate Dynamics, 2015.
[3] D’après les rapports du GIEC sur le changement climatique (2014).
[4] http://www.sciencepoles.org/interview/explaining-ocean-acidification-and-consequences-for-arctic-marine-ecosystem
[5] Wollenburg et al, « Ballasting by cryogenic gypsum enhances carbon export in a Phaeocystis under-ice bloom », Scientific Reports, 2018.
[6] Hussherr et al, « Impact of ocean acidification on Arctic phytoplankton blooms and dimethyl sulfide concentration under simulated ice-free and under-ice conditions », Biogeosciences, 2017.
[7] Pour aller plus loin : Blais et al, « Contrasting interannual changes in phytoplankton productivity and community structure in the coastal Canadian Arctic Ocean », Limnology and Oceanography, 2017.
[8] https://www.independent.co.uk/news/world/europe/eu-tackles-iceland-over-mackerel-wars-8735538.html
[9] https://uk.reuters.com/article/uk-eu-iceland-mackerel/eu-sets-sanction-deadline-in-iceland-mackerel-dispute-idUKBRE96E0X120130715
[10] https://www.undercurrentnews.com/2015/03/16/mackerel-talks-blamed-as-iceland-withdraws-eu-membership-bid/
[11] Arnarsson et al, The Strategic Assessment of Development of the Arctic: an assessment conducted for the European Union, Published by the Arctic Centre, University of Lapland, 2014.
[12] Fisheries Management and the Arctic in the Context of Climate Change, Directorate General for Internal Policies.
[13] https://www.reuters.com/article/us-heatwave-iceland-fish/feature-iceland-reaps-riches-from-warming-oceans-as-fish-swim-north-idUSKCN1BW02T
[14] Thor et al, « Seawater pH predicted for the year 2100 affects the metabolic response to feeding in copepodites of the Arctic copepod Calanus glacialis », PLoS ONE, 2016.
[15] https://www.triplepundit.com/2018/01/world-leaders-ban-arctic-fishing-favor-environmental-research/
[16] https://www.independent.co.uk/environment/arctic-ocean-fishing-ban-environment-scientists-populations-fish-a8091541.html