Développement rédigé par Lola Menigaux. (Mars 2018)
La question de la radioactivité présente en Arctique a pris de l’ampleur au cours de plusieurs phases, au début des années 1990, à la fin de la Guerre froide, et à la suite de l’accident de Tchernobyl en 1986. De nombreuses études ont été effectuées depuis cette période[1], estimant les taux de présence de radionucléides, leurs origines et leurs impacts sur les populations vivant dans l’Arctique. L’AMAP (Arctic Monitoring and Assessment Program) est le groupe de travail du Conseil de l’Arctique chargé d’évaluer les menaces pour l’environnement arctique (incluant les populations humaines), qui se concentre sur les effets de la pollution, quel que soit le type. L’AMAP a rédigé différents rapports concernant la radioactivité dans l’Arctique en 2002, 2009 et 2015, et des rapports concernant tous types de pollutions dans la région, ainsi qu’un résumé[2] pour les décisionnaires politiques en 2015.
La radioactivité en Arctique touche plus fortement les populations indigènes. Celles-ci ont un régime basé principalement sur la viande de rennes ou de caribous, qui se nourrissent de plantes, et en hiver presque intégralement de lichen, qui peut retenir une forte concentration de césium radioactif. Cet impact atteint moins fortement le Groenland, où la population se nourrit d’abord d’animaux marins (baleines, poissons d’eau de mer, phoques), que la radioactivité affecte moins.
- Contribution relative du Césium 137 dans le régime d’une partie de la population sélectionnée (parmi la population indigène) dans différentes régions
Après les nombreux tests nucléaires entre 1955 et 1965, la concentration en césium dans la viande de renne a diminué graduellement, mais reste facilement perturbée par les retombées survenant à la suite de tests nucléaires ou d’accidents majeurs. Elle a été mesurée entre 1960 et 2000 comme le montre la Figure 2.
Les évènements majeurs ayant entraîné une augmentation de la radioactivité dans l’Arctique ne se sont généralement pas produits dans la région directement, mais les retombées radioactives peuvent se faire loin de leur site de relâche. Les retombées d’origine militaire sont nombreuses. Dans l’Arctique même, les tests d’essais nucléaires atmosphériques de Nouvelle-Zemble (archipel russe) et souterrains d’Amchitka (île en Alaska) ont contribué à la pollution nucléaire. Au Groenland, le crash d’un avion de la base aérienne de Thulé en 1968 aurait participé à la radioactivité dans les alentours. Les accidents de sous-marins nucléaires russes tels que l’incendie du Komsomolets en 1989 en mer de Norvège inquiètent toujours malgré l’absence de fuite jusqu’à aujourd’hui. En mers de Barents et de Kara, la Russie aurait aussi déversé délibérément des déchets radioactifs tels que les combustibles usagés ou les réacteurs nucléaires d’anciens sous-marins jusqu’au début des années 1990.
- Évolution de la concentration de césium radioactif dans la viande de renne dans diverses régions de l’Arctique de 1960 à 1995[3]
Enfin, les accidents nucléaires majeurs de Tchernobyl en 1986 ou Fukushima en 2011 ont eu des retombées en Arctique. Pour le plus récent, les valeurs de radioactivité sont restées sous les seuils de toxicité, mais leur présence en Arctique en moins de quinze jours après l’évènement montre la grande mobilité de la pollution nucléaire après un accident sur une centrale nucléaire. Et l’Arctique n’est de plus pas dénué de centrales nucléaires, comme le montre la figure 3. Un accident plus proche, comme celui de Tchernobyl, a déjà révélé des conséquences non négligeables dans la région polaire.
Certains pays retraitent aujourd’hui les combustibles usagés déversés ou les déchets nucléaires mis en décharge. Sur la carte de la Figure 3, ces centres de traitement sont indiqués. Depuis 2017, le site d’Andreeva Bay peut être ajouté à cette liste[4].
- Situation géographique des centrales nucléaires à proximité de l’Arctique[5]
Malgré une tendance à la diminution de la radioactivité en Arctique, et à une prise de conscience de la part des pays du Conseil de l’Arctique, certaines préoccupations demeurent. La possibilité d’un accident majeur sur une des centrales proches de l’Arctique n’est par exemple pas à écarter. Un autre risque est la nucléarisation des navires dans l’Arctique. La Russie s’équipe de brise-glaces nucléaires civils, commerciaux et militaires, et renouvelle sa flotte de sous-marins nucléaires. Elle a aussi développé une centrale nucléaire flottante, l’Akademik Lomonosov, ce qui inquiète les pays alentours[6]. Aussi, après la levée de l’interdiction sur l’exploration d’uranium par le Groenland en 2013, la possibilité d’une exploitation future peut inquiéter. La dénucléarisation prévue dans certaines centrales en Europe peut elle-même augmenter temporairement la radioactivité, et doit être traitée avec soin.
Enfin, le changement climatique entraîne de nombreuses questions. Les changements de courants océaniques ne devraient pas jouer un grand rôle dans la répartition des radionucléides. Cependant, la fonte des glaces et du permafrost pourrait entraîner une libération de certains isotopes radioactifs, d’après les différents rapports de l’AMAP au cours des années.
Les huit pays du Conseil de l’Arctique, et d’autres pays les entourant, surveillent et mesurent les taux de radionucléides dans les océans et dans l’atmosphère, si bien que toute fuite de radioactivité devrait pouvoir être détectée. Cependant, un accident peut survenir à chaque instant et les techniques de décontamination des océans pollués n’en sont qu’à leurs balbutiements.
[1] Voir les références utilisées par les rapports de l’AMAP sur la pollution radioactive depuis 2002.
[2] Tous ces travaux sont en libre-service sur le site officiel de l’AMAP et ce document utilisera principalement les résultats de ces rapports : https://www.amap.no/documents/18/scientific/21
[3] Chapitre 8 du AMAP Assessment Report: Arctic Pollution Issues, 1998.
[4] NILSEN Thomas, « Nuclear waste removal starts in Andreeva Bay », The Independent Barents Observer, May 2017, https://thebarentsobserver.com/en/ecology/2017/05/nuclear-waste-removal-starts-andreeva-bay
[5] AMAP Assessment 2015: Radioactivity in the Arctic.
[6] EER News, « Russia to move floating nuclear power plant Lomonosov through Baltic Sea » – https://news.err.ee/822180/russia-to-move-floating-nuclear-power-plant-lomonosov-through-baltic-sea