Développement rédigé par Lola Menigaux. (Juin 2018)
La pollution plastique dans les océans est un fléau global qui entraîne déjà une prise de conscience et des réponses à différentes échelles, internationale, nationale et locale (cf. ci-après). L’étude de la pollution plastique en Arctique se limitait dans les années 1990 à l’impact sur la biodiversité. Cependant, la densité de population présente étant plus faible en comparaison à d’autres régions du monde (voir les « garbages patches » ci-après), les taux de plastiques dans l’Arctique et leurs origines étaient moins étudiés. Aujourd’hui, la publication de recherches récentes[1] renforce l’acuité de ce thème dans le Grand Nord, et suscite déjà de nombreuses campagnes de protection de la biodiversité.
Il convient de distinguer la pollution plastique directe et les dérivés de la pollution plastique.
La pollution plastique directe concerne les déchets plastiques tels que les filets de pêche ou les plastiques ménagers comme les sacs. Ces déchets directs migrent de leur zone de relâche vers des zones appelées « vortex d’ordures » ou « vortex de déchets » (« garbage patches » en anglais) telles que celui du Pacifique Nord qui est la plus grande zone maritime de déchets plastiques, s’étendant sur environ 1.6 million de kilomètres, avec environ 79 000 tonnes de plastiques[2]. De nombreux vortex marins de toute taille existent dans les océans, créés par la rencontre de courants marins opposés. Ces tourbillons entraînent un regroupement de déchets plastiques : ceux-ci migrent grâce aux courants marins sur des milliers de kilomètres et se retrouvent piégés dans des vortex. Il existe aujourd’hui cinq de ces zones géantes accumulant les déchets marins et une sixième serait en train de se former dans la mer de Barents, récupérant des déchets de l’Atlantique Nord[3],[4].
Cette accumulation de déchets ne peut être due uniquement à la population humaine présente en Arctique, car la densité d’habitants y est très faible. Cette pollution a peu d’impact direct sur la population Arctique. Cependant, elle représente des risques environnementaux importants qui peuvent affecter indirectement la population humaine, que ce soit en Arctique ou ailleurs. Les plastiques peuvent être directement ingérés par les animaux marins. On retrouve alors par exemple une concentration importante de plastique dans les estomacs d’oiseaux marins, tels que les fulmars, mais aussi chez des mammifères marins et des poissons (cf. figure suivante).
La dangerosité du plastique vient alors principalement des produits qui le composent. Plusieurs « polluants organiques persistants » (POP) en font partie. Les POP sont dangereux pour la santé et font l’objet de nombreuses régulations internationales et nationales. Auparavant, les polychlorobiphényles (PCB), classés cancérigènes par le Centre Internationale de Recherche sur le Cancer[5], ont été interdits dans la fabrication de plastique ; mais aujourd’hui, les polybromodiphényléthers (PBDE) contenus dans le plastique, dont la structure est proche des PCB, inquiètent à cause des effets néfastes sur le développement neurocomportemental et le foie[6], et font l’objet de restrictions dans certains pays. Ces polluants peuvent donc être transmis par la chaîne alimentaire jusqu’aux populations humaines. La figure suivante présente la chaîne alimentaire maritime et ses interconnexions, avec en haut les nutriments mais aussi les déchets présents dans l’eau (dont le plastique) jusqu’aux hommes et autres animaux prédateurs. La particularité de l’Arctique est la présence de populations autochtones ayant, pour certains, un régime alimentaire centré sur les poissons et mammifères marins. C’est le cas du Groenland par exemple.
- AMAP Assessment Report : Arctic Pollution Issues, 1998[7]
Les études les plus récentes[8][9] s’intéressent aux taux de micro-plastiques découverts dans les glaces arctiques. Avec la fonte des glaces liée au réchauffement climatique, ces microparticules de plastiques pourraient être libérées dans l’océan, avec des concentrations qui restent difficiles à évaluer, et contribuer à la pollution plastique qui ne fait déjà que croître dans l’Arctique.
À l’échelle internationale, la Convention-cadre des Nations Unies sur les Changements Climatiques donne des lignes directrices pour limiter l’impact humain sur l’environnement. À travers ses conférences (6 conférences par an, dont une Conférence des Parties), de nombreux aspects peuvent être abordés, et le plastique en fait partie[10], jusque dans la manière d’organiser l’évènement[11]. Cependant, c’est au niveau régional ou national que les principales régulations ont été édictées. L’utilisation des PCB a ainsi fait l’objet de nombreuses restrictions depuis la fin des années 1970 au sein de l’Union Européenne. La convention de Stockholm (2001) a par la suite décidé de leur disparition totale d’ici 2025[12]. Chaque pays prend alors ses dispositions pour atteindre cet objectif. L’Union Européenne a également adopté des restrictions sur les PBDE, ainsi que le Canada.
Parmi les pays arctiques, certains suivent les directives européennes comme le Danemark, la Suède et la Finlande, en tant qu’États membres de l’UE. Les restrictions sur l’utilisation du plastique augmentent et les campagnes de sensibilisations sont de plus en plus nombreuses. La Norvège est particulièrement visible sur ces sujets, et est régulièrement prise comme exemple par d’autres pays[13] : la dernière réglementation nationale vise à réduire de plus en plus la quantité de plastique utilisée dans les emballages de supermarché avec un objectif de diminution de 400 tonnes en 2018[14].
Cependant, c’est à plus petite échelle que la plupart des décisions sont prises, partant de l’idée que tout individu peut participer à un effort commun en nettoyant les plages, en faisant attention à sa consommation de plastique, et même en aidant des recherches scientifiques sur l’accumulation du plastique[15]. A Svalbard par exemple, des touristes vont nettoyer les plages pendant leur escale au Spitsberg[16]. Ces initiatives se font de plus en plus nombreuses par les particuliers mais aussi au niveau municipal. A Tromsø en Norvège, la mairie a décidé de libérer la ville de plastique en travaillant avec les habitants et les entreprises pour limiter la consommation et la production[17].
Chacun travaille donc à son niveau. Les interdictions de produits chimiques tels que les PCB et PBDE vont être faites à une échelle internationale et régionale, mais leur application dans la vie courante est entreprise par les municipalités et parfois les gouvernements nationaux directement. Cependant, l’essentiel de la pollution plastique dans l’Arctique venant de l’extérieur de cette zone, le besoin en initiatives globales s’affirme. Les populations autochtones en Arctique sont impactées par le taux de plastique présent dans la chaîne alimentaire arctique précédemment décrite. Les populations qui ont le choix de diversifier leur alimentation, et de se nourrir de produits contrôlés, sont moins exposées. Il faut insister sur le fait que les efforts dans ce domaine ne peuvent pas être uniquement le fait des États de l’Arctique.
Notes :
[1] Avec les autres références citées dans cet article : Bergmann et al, « Observations of floating anthropogenic litter in the Barents Sea and Fram Strait, Arctic », Polar Biol, 2016 ; Trevail et al, « Elevated levels of ingested plastic in a high Arctic seabird, the northern fulmar (Fulmarus glacialis) », Polar Biol, 2015.
[2] Lebreton et al, « Evidence that the Great Pacific Garbage Patch is rapidly accumulating plastic », Scientific Reports, 2018.
[3] Tekman et al, « Marine litter on deep Arctic seafloor continues to increase and spreads to the North at the HAUSGARTEN observatory », Deep-Sea Research, 2017.
[4] Cózar et al, « The Arctic Ocean as a dead end for floating plastics in the North Atlantic branch of the Thermohaline Circulation », Science Advances, 2017.
[5] https://www.iarc.fr/indexfr.php
[6] Rapport sur l’état des connaissances scientifiques – Polybromodiphényléthers (PBDE), Gouvernement du Canada, 2006, https://www.canada.ca/fr/sante-canada/services/sante-environnement-milieu-travail/rapports-publications/contaminants-environnementaux/rapport-etat-connaissances-scientifiques-sous-jacentes-evaluation-prealable-effets-sante-polybromodiphenylethers-pbde.html#ar2
[7] https://www.amap.no/documents/doc/amap-assessment-report-arctic-pollution-issues/68
[8] Kanhai et al, « Microplastics in sub-surface waters of the Arctic Central Basin », Marine Pollution Bulletin, 2018.
[9] Kühn et al, « Plastic ingestion by juvenile polar cod (Boreogadus saida) in the Arctic Ocean », Polar Biology, 2018.
[10] Ségolène Royal, President of COP21, « Stop Plastic Waste: Launch of the international coalition », 2016.
[11] COP23 Environmental Statement UN Climate Change Conference, 2016.
[12] http://www.eurochlor.org/media/64577/05-pcbs_-_the_issue___legislation.pdf
[13] https://www.independent.co.uk/news/uk/home-news/uk-plastic-bottle-recycling-system-norway-adopt-ocean-pollution-latest-news-a8198761.html
[14] https://www.thelocal.no/20180419/norway-to-reduce-supermarket-plastic-packaging-by-400-tonnes
[15] Bergmann et al, « Citizen scientists reveal: Marine litter pollutes Arctic beaches and affects wild life », Marine Pollution Bulletin, 2017.
[16] https://oceanwide-expeditions.com/blog/environmentally-minded-tourists-cleaning-beaches-in-northwest-spitsbergen
[17] Déclaration de la ville de Tromsø – https://www.tromso.kommune.no/the-initiative-for-a-plastic-free-city.465743.no.html