L’Estonie demande le statut d’État observateur au Conseil de l’Arctique
L’Estonie considère qu’elle a un rôle à jouer dans le développement de l’Arctique en raison de sa proximité étroite avec la région.
Le ministère des Affaires étrangères estonien a fait savoir son intérêt, le 14 novembre 2019, pour obtenir le statut d’observateur au Conseil de l’Arctique. Pays non arctique mais limitrophe de la région arctique, l’Estonie se sent affectée par la gouvernance de la région du fait de sa position géographique. Elle souhaite ainsi accroître son investissement dans la gouvernance de l’Arctique.
Elle y voit une opportunité de protéger la région, en soulignant que cette mission de protection n’appartient pas uniquement aux pays riverains de l’Arctique mais également aux États qui en sont proches – les Pays baltes.
L’Estonie a également des ambitions économiques en Arctique. En effet, elle travaille déjà sur un projet public, en collaboration avec la Finlande, de construction d’une voie ferrée reliant Tallinn à Helsinki (FinEst Link). En se positionnant dans les affaires arctiques, l’Estonie envisage de se placer comme la nouvelle porte européenne dans les domaines du trafic maritime régional. De nouvelles opportunités s’ouvriraient également dans les secteurs de la pêche, de la technologie ‘verte’, de la logistique et de la recherche scientifique.
Il faut souligner qu’en raison de sa situation géographique et de son histoire avec la Russie, les aspects de sécurité représentent également une des raisons notables de la volonté d’adhésion de l’Estonie au Conseil de l’Arctique.
Quelques points sur la conférence Arctic Circle 2019
La réunion annuelle “Arctic Circle” s’est tenue du 10 au 12 octobre à Reykjavik en Islande. Depuis 2013, celle-ci a pour objectif de réunir un grand nombre de participants afin de promouvoir les discussions multilatérales et de répondre aux enjeux croissants en Arctique.
Pour sa septième édition, l’Arctic Circle Assembly a réuni environ 2 000 participants d’horizons variés et 600 intervenants répartis dans 185 séances plénières, ce qui en fait un instrument de coopération incontournable pour la région Arctique. Avec la présence de nombreuses délégations nationales, cette édition a été la plus importante depuis sa création en 2013 comme Olafur Ragnar Grimsson l’a souligné à plusieurs reprises. Ce fut l’occasion pour les acteurs importants de la gouvernance arctique de s’exprimer sur leurs priorités.
Une attention toute particulière a été portée sur le Groenland qui a organisé plusieurs événements dont une “social night”, plusieurs tables rondes mais également une séance plénière intitulée : “Greenland on the world stage”. De manière symbolique dans un contexte de volonté d’émancipation du Danemark, le Premier ministre du Groenland, Kim Kielsen, a fait son discours en groenlandais.
Le secrétaire à l’Énergie américain, Rick Perry, a fait une présentation insistant sur l’intérêt économique pour les États-Unis des ressources naturelles arctiques et a mis en avant la production et l’exportation d’hydrocarbures mais aussi d’“énergies vertes” des États-Unis (hydroélectricité, solaire, et éolien). Eloigné du discours officiel de l’administration Trump, John Kerry, secrétaire d’État de B. Obama, a fait un discours soulignant l’urgence climatique et la nécessité d’intervenir pour lutter contre ce que ce dernier nomme la “World War Zero”.
En ce qui concerne la France, l’ambassadrice pour les pôles, S. Royal, a soutenu dans son discours la position de la France comme nation polaire et l’urgence que représente le réchauffement climatique pour cette région.
Le sommet des représentants autochtones de l’Arctique a été organisé cette année par le Conseil Saami.
Le sixième Sommet des représentants des peuples autochtones arctiques s’est tenu à Rovaniemi en Finlande du 13 au 15 novembre 2019. Ce rassemblement de haut niveau a été accueilli par le Conseil Saami – l’une des six organisations de représentation des populations autochtones au Conseil de l’Arctique.
Les principaux thèmes abordés lors de ce sommet ont été les suivants : (1) la mise en avant de l’histoire même de ce sommet ; (2) les langues autochtones ; (3) les changements environnementaux ; (4) les dynamiques de populations dans un Arctique en transformation ; (5) les dialogues entre populations autochtones d’une part et les observateurs du Conseil de l’Arctique d’autre part.
Dans la déclaration conjointe aux six organisations autochtones suivant le sommet, les chefs autochtones appellent à prendre en considération les impacts du changement climatique sur le mode de vie des communautés autochtones qui sont les premières affectées par les modifications qui en découlent. Ils appellent ainsi à une utilisation durable des ressources et à ne pas sous-estimer les droits fondamentaux des autochtones dans les pratiques économiques et commerciales.
Ceux-ci réaffirment la nécessité de la représentativité des populations aux négociations et aux prises de décisions et leur droit légitime à être informé au préalable (et donner leur consentement) des activités se déroulant sur leurs terres ou leurs eaux.
Les leaders mettent également l’accent sur le rôle joué par la jeunesse et la préservation de la culture, des langues, des valeurs, des pratiques et des institutions autochtones. Ainsi, la protection de la « connaissance autochtone » passe aussi par le développement d’une éducation allant dans ce sens. Les inégalités sociales et les disparités en termes de santé publique (diabète, maladies infectieuses, suicide) et d’emploi sont éminemment présentes dans la région Arctique et ont particulièrement des impacts négatifs sur les communautés autochtones.
Enfin, les leaders encouragent la communauté internationale, et donc également les États membres du Conseil de l’Arctique, à satisfaire leurs obligations positives en vertu de la ratification des différents instruments juridiques internationaux. La Déclaration universelle des droits de l’Homme (ONU) et l’Accord de Paris de 2015 ont été nommés en particulier.
Les enjeux arctiques des négociations du traité sur la protection de la biodiversité marine ne relevant pas des juridictions nationales (BBNJ)
L’ONU prépare un traité juridiquement contraignant sur la protection de la biodiversité marine ne relevant pas des juridictions nationales (BBNJ). La troisième session de fond de la Conférence internationale chargée de l’élaboration de ce nouvel instrument, qui s’est tenue en août dernier au siège de l’Organisation, s’est terminée par la promesse d’aboutir à un accord en 2020.
Un rapport récent sur l’évaluation de la biodiversité et les écosystèmes préparé par 145 experts issus de 50 pays souligne que 66% du milieu marin a, à ce jour, été altéré par les activités humaines. L’océan Arctique recouvre 5 000 espèces animales, 2 000 types d’algues et un nombre conséquent de microbes jugés essentiels à la survie des écosystèmes marins arctiques. La fonte des glaces et l’acidification de l’océan dues au changement climatique mèneront à d’importantes modifications des écosystèmes marins arctiques et mondiaux.
De nombreux instruments juridiques sont actuellement en application en Arctique, dont certains concernent également la zone au-delà des juridictions nationales : la Convention des Nations Unies sur le Droit de la Mer, la Convention sur la Biodiversité Biologique, le Code polaire, et plus récemment l’accord visant à prévenir la pêche non réglementée en haute mer dans l’océan Arctique central. Bien qu’ils en fassent mention, aucun de ces textes ne concerne la protection de la biodiversité marine en tant que telle. Au regard des enjeux mentionnés, ce nouvel instrument onusien vise donc à combler les vides juridiques actuels.
Un des enjeux des négociations du BBNJ est la coordination et la répartition des compétences entre ce nouvel instrument juridiquement contraignant et les instruments internationaux et régionaux existants. Cela est particulièrement pertinent pour l’Arctique dont les États riverains sont généralement réfractaires aux instruments juridiquement contraignants. L’une des possibilités est de laisser le processus de négociation mondial en cours inciter les États de l’Arctique à prendre leurs responsabilités et à être proactifs dans la création d’un régime de protection globale pour l’océan Arctique afin de combler les vides juridiques et de gouvernance. En effet, l’Accord sur les pêches dans le centre de l’océan Arctique et son approche de précaution rigoureuse peuvent être vus comme une première étape vers la mise en place d’un régime régional.
Un autre argument en faveur de la proactivité dans l’Arctique est davantage dans l’intérêt des États côtiers et confirmerait leur volonté exprimée dans la Déclaration d’Ilulissat « d’assurer la protection et la préservation de l’environnement marin fragile de l’océan Arctique ».
La question se pose alors de qui doit être considéré comme « État arctique » dans ce contexte. Plusieurs constellations sont apparues en relation avec la gouvernance marine arctique, notamment sur le moratoire sur la pêche (voir bulletin de septembre). Malgré l’intérêt d’éviter la prolifération des forums de gouvernance dans l’Arctique, l’importance de renforcer la coopération marine dans l’Arctique peut nécessiter un mécanisme de coordination en dehors du cadre du Conseil de l’Arctique. C’est ce que fait régulièrement valoir David Balton, ancien ambassadeur des États-Unis pour les Océans et les Pêcheries. Le mécanisme pourrait prendre la forme d’un programme pour les mers régionales s’inspirant de mécanismes similaires mis en place ailleurs.
Camille Escudé (GEG), Emilie Canova (GEG)