Cette première édition du bloc de veille trafic maritime / sécurité maritime présente les enjeux généraux de ces deux thématiques. Le prochain bulletin sera plus condensé.
Objectifs du bulletin mensuel
Analyser le trafic maritime commercial dans l’océan Arctique, identifier son volume en fonction des saisons, ses routes et les catégories de navires qui empruntent ces espaces. On recherchera tout au long de cette étude à noter s’il y a effectivement une augmentation du trafic notamment en hiver sur la route du Nord-Est pour le transport de gaz vers l’Europe ou l’Asie.
Le trafic maritime arctique va se concentrer essentiellement sur deux zones, le passage du Nord-Ouest (NWP) et la route du Nord-Est (NSR). Si le long des côtes canadiennes et de l’Alaska, le trafic est très limité en hiver, il sera en revanche intéressant de suivre celui qui longe les côtes russes. Les ambitons du président russe sont d’assurer une liaison vers l’Asie avec les tankers LNG tout au long de l’année. En été, l’étude devrait confirmer un accroissement du trafic sensible sur la route du Nord-Est qu’il sera intéressant d’analyser, à la fois en volume du trafic mais également par type de navires.
Prochaines thématiques |
L’environnement : les conditions de glaces |
La sécurité du trafic maritime ; le Code polaire 1/2 |
La sécurité du trafic maritime ; le Code polaire 2/2 |
La Route du Nord-est (NSR) |
Le passage du Nord-Ouest (NWP) |
La flotte de brise-glaces |
La flotte de croisière – le Svalbard |
Les navires coque-glace |
Les ports de l’Arctique |
Les projets industriels arctiques |
L’environnement : météorologie |
Cette analyse sera accompagnée d’une veille attentive de l’évolution des infrastructures civiles et militaires dans cet espace arctique. Plusieurs thématiques liées au trafic maritime et à sa sécurité seront développées au fil des prochains bulletins.
Le logiciel I4D Explorer d’Airbus
A l’aide des données AIS émises par les navires soumis à la réglementation Solas de l’OMI qui sont récupérées via des satellites et diffusées par le logiciel I4D Explorer mis à disposition par Airbus, il est possible de connaître le volume de trafic et le type de navires qui transitent dans les eaux arctiques en permanence et en temps quasiment réel.
Les données AIS fournies sont celles du projet Trimaran de l’État-major de la Marine. Ce flux AIS, directement mis à disposition sans traitement postérieur, provient de la société Exactearth, données qui deviennent ensuite exploitables via le logiciel I4D Explorer d’Airbus. Unique sur le marché SAT-AIS, ce service est capable de fournir un suivi mondial des navires en temps réel via sa plate-forme exactView™ RT. La constellation exacteEarth actuelle est constituée d’un système de plus de 65 charges utiles de satellites maritimes, dont 58 satellites exactView RT qui ont été conçus, construits et exploités par Harris Corporation – un leader mondial de la technologie des charges utiles de satellites – qui sont hébergés à bord de la constellation de satellites de communications à orbites polaires Iridium NEXT. Si les données AIS de portée VHF peuvent être facilement captées puis exploitées de la côte, à condition qu’il y ait des relais VHF, très vite les navires sont hors de portée et ne peuvent plus être poursuivis. Les satellites S‑AIS couvrent cette zone manquante. Cette capacité est d’autant plus nécessaire qu’en Arctique la couverture de stations côtières VHF est quasiment inexistante.
L’interface utilisée est dérivée du prologiciel d’Airbus, Ocean Finder qui localise, identifie et poursuit tous les navires des océans : https://www.youtube.com/watch?v=NEtX2j7HdWM&feature=youtu.be.
Cadre de l’étude
Le réchauffement climatique accélère la fonte de la banquise en Arctique laissant entrevoir des possibilités d’exploiter des routes libres de glaces plus courtes entre l’Asie du Nord et les ports de l’Europe du Nord. Les économies de temps et de coûts d’exploitation du navire par ces routes plus courtes de 40% par rapport aux routes traditionnelles sont-elles vraiment viables ? Les Russes en sont persuadés, les Canadiens demeurent plus prudents. L’étude du volume du trafic maritime sur une période significative de trois ans devrait permettre de démontrer leur pertinence ou non.
Le réchauffement climatique est deux à trois fois plus rapide aux pôles que sur le reste de la planète. Les eaux polaires arctiques deviennent de plus en plus accessibles au trafic maritime et aux ressources d’hydrocarbures jugées considérables, et ce sur des périodes de plus en plus longues, périodes estivales mais hivernales également. 2018 est l’année de toute l’histoire maritime qui comptera le plus grand nombre de constructions neuves de navires de classe Glace. Plus d’une vingtaine de navires neufs de croisière d’expédition sont attendus dans les cinq prochaines années pour alimenter le marché de la croisière dans les zones polaires. Quinze tankers brise-glace de transport de gaz liquéfié sont spécialement conçus pour acheminer leur cargaison de gaz russe vers l’Europe et l’Asie toutes les 44 heures. La construction de navires de classe Glace russes n’a jamais été aussi importante que durant cette décennie. Cet essor considérable est le reflet net de l’intérêt économique et commercial que représente l’océan Arctique. Si la Russie se positionne en leader dans ce domaine, l’Arctique étant devenu d’un intérêt majeur et une priorité nationale pour ce pays, la Chine conçoit le pôle boréal comme une continuité vers l’Est de ses artères commerciales et investie massivement. Les routes maritimes commerciales qui se dessinent le long des côtes nord-américaines et du littoral russe sont perçues comme une aubaine pour les économies faites entre le Nord de l’Europe et de la Chine. Pour autant, malgré la réduction de 40% de temps de trajet et de l’économie induite par rapport à la route classique passant par le canal de Suez, les pôles vont-ils devenir un nouveau Panama blanc reliant le Pacifique à l’Atlantique ? Les réserves d’hydrocarbures considérables fort convoitées sont-elles en train de générer une nouvelle zone de tension ? L’augmentation du trafic maritime à 80 millions de tonnes sur le passage du Nord-Est voulue par Vladimir Poutine pour 2024 est-elle réaliste ? Si aujourd’hui le trafic maritime qui se concentre essentiellement sur le passage du Nord-Est demeure un trafic à destination et non encore un trafic transocéanique, il est nécessaire de porter une attention particulière sur son augmentation et la nature des marchandises transportées. Va-t-on voir un trafic hivernal régulier vers l’Asie pour exporter le gaz de Yamal comme l’a affirmé le président de la Fédération de Russie ? Si la Russie n’impose théoriquement pas de contrôle sur la route du Nord-Est, le trafic maritime y est néanmoins réglementé en raison des moyens d’escorte de brise-glaces nécessaires pour assurer un transit sûr. Est-ce une entrave à la libre circulation des navires en haute-mer ? Quels sont les pavillons qui assurent régulièrement un transit côtier ou hauturier, les moyens d’intervention sont-ils suffisants pour assurer la sécurité de ce trafic maritime ? Pour répondre à ces interrogations légitimes, une vision assez fine du trafic maritime arctique peut être obtenue grâce aux relevés satellitaires de suivis des AIS des navires accessibles par des opérateurs spécialisés.
Cartes du trafic maritime
A l’aide des données AIS des navires récupérées via des satellites et du traitement par le logiciel I4D Explorer mis à disposition par Airbus, il est possible de connaître le volume de trafic et le type de navires qui transitent dans les eaux arctiques en permanance.
Quatre bassins en océan Arctique sont soumis à du trafic maritime et qui retiendront l’attention pour cette étude :
- Le passage du Nord-Ouest le long des côtes canadiennes et celles de l’Alaska ;
- Le passage du Nord-Est le long des côtes russes du détroit de Béring à la mer de Barents ;
- La mer de Bafin avec la côte Est du Groenland ;
- Le Svalbard.
Le volume du trafic varie bien évidemment en fonction de la saison. A la carte du trafic maritime est superposée une carte de concentration des glaces, laissant ainsi apparaître les flottes de navires concentrés sur les zones d’activités distinctes. Sur la carte ci-dessous, en mer de Barents avec des eaux libres de glaces toute l’année, on constate une forte concentration de navires de pêche (seconde figure). En mer de Kara, seuls les navires de classe brise-glace sont présents, que ce soient des tankers LNG qui transitent vers le cap Nord de la Norvège en provenance de la rivière de l’Ob (port de Sabetta, usine de liquéfaction de gaz de Yamal), ou des zones de chargement de brut (terminal de Novy en amont de la rivière de l’Ob où du terminal de Varanday).
Exemple de la situation du trafic maritime en mer de Barents et NSR Ouest au 20 mai 2019 (en rouge, 10/10ème de concentration de glace)
Cartes des glaces
La densité du trafic et les types de navires transitant en Arctique sont entièrement dépendants de la quantité de glaces de mer gelées (banquise) rencontrée. Une carte de concentration de glace est toujours superposée à la carte affichant le trafic maritime.
Suivant la période de l’année, des cartes de glaces du bassin arctique sont accessibles soit quotidiennement en été, soit de façon hebdommadaire en hiver. La carte du NOAA (National Oceanic and Atmospheric Administration), l’agence américaine d’observation océanique et atmosphérique, édite une carte géoréférencée de concentration des glaces de mer, la banquise y est exprimée en dizième, 1 étant le minimum, 10 repésentant une mer complètement couverte de glaces. De couleur jaune, la concentration varie de 1/10ème à 8/10ème et en rouge de 8/10ème à 10/10ème. La glace de moindre concentration (jaune) est souvent en marge de l’étendue maximale de banquise (rouge) et au contact de la mer libre.
La carte de concentration affichée dans le logiciel I4E Explorer permet de voir rapidement si la navigation est en mer libre ou au contact de la glace. Les navires évoluant dans le pack dense (banquise) sont soit des navires ayant des capacités à naviguer dans les glaces, soit ils sont excortés par un brise-glace.
La carte russe (non géoréférencée) permet de compléter la carte américaine sur le même bassin. Elle spécifie le type de glaces associé à son épaisseur. Ces précisions sont essentielles car pour une concentration de 10/10ème (couleur rouge), la progression sera plus aisée dans une glace jeune (Nilas) qu’une glace vieille (Old ice) qui fera plusieurs mètres d’épaisseur. Pour ce mois de mai, on observe la zone de vieille glace en rouge foncée qui se concentre sur le pôle avec vraisemblablement une zone dérivante en mer de Sibérie. La zone verte représente la glace de première année, c’est-à-dire celle qui a gelé pendant l’hiver et qui disparaîtera à la fin de l’été. C’est le réchauffement climatique qui est reponsable de la régression chronique de la zone de vieille glace. La zone de Fast ice (fastened ice – zone hachurée) est de la banquise qui s’est accumulée le long des côtes en se compressant pouvant former des champs de glaces de grandes épaisseurs (hummoks). Ces zones « hummokées » dérivent moins que la banquise au large et restent encore largement présentes en fin d’été, notamment en Sibérie orientale.
https://www.natice.noaa.gov/daily_graphics.htm
http://www.aari.ru/main.php?lg=1&id=134
Actualités maritimes du mois
Sortie repoussée des 3 projets 22200, brise-glaces nucléaires russes ; la priorité étant donnée au draguage de la rivière de l’Ob pour le projet Novatek Arctic LNG2 à Yamal.
Les chantiers chinois viennent de sortir leur premier navire ARC7 de classe identique aux tankers LNG affectés à Yamal.
Brise-glaces nucléaire
Parution du décret gouvernemental russe du 24 avril 2019 visant le transfert de 4 milliards de roubles des chantiers « Baltiysky Zavod » de Saint-Pétersbourg au draguage de la rivière de l’Ob pour le projet Novatek Arctic LNG2. La livraison des trois brise-glaces à propulsion nucléaire actuellement en construction dans ce chantier serait donc différée. L’Arktika devrait être mis en service en 2020, le Sibir en 2021 et l’Ural en 2022.
https://www.kommersant.ru/doc/3968835 consulté le 16 mai 2019 (à traduire en ligne du russe).
Pétrolier Boris Sokolov
Sortant du chantier naval de Guangzhou en Chine, le nouveau pétrolier Boris Sokolov a rallié Mourmansk en passant par la route maritime du Nord-Est où il sera affecté au transport de condensat de gaz depuis l’usine de Yamal LNG. Ce premier navire sorti d’un chantier naval chinois prouve que la Chine a la capacité à construire des navires arctiques. Seuls les chantiers coréens et le chantier Arctech en Finlande avaient jusqu’alors cette expertise.
https://thebarentsobserver.com/en/industry-and-energy/2019/05/chinese-built-arctic-tanker-tests-spring-ice-along-remote-russian-coast consulté le 07 mai 2019.
Les sites Internet du mois
The Independent Barents observer et le High North News sont deux médias norvégiens en ligne d’actualités de l’arc arctique extrêmement bien informés.
The Independent Barents observer
Journal en ligne qui fournit des reportages quotidiens sur la Scandinavie, la Russie et l’Arctique circumpolaire. L’agence est située à Kirkenes, la ville arctique norvégienne située à quelques kilomètres des frontières de la Russie et de la Finlande. The Independent Barents Observer publie en anglais et en russe. Il est régulièrement interdit de diffusion sur le Net en Russie.
High North News
High North News est un journal en ligne norvégien indépendant publié par le High North Center de l’Université du Nord situé à Bodø. Souvent publié, le chercheur et fondateur de l’Arctic Institute Malte Humpert qui collabore au journal, est un des grands spécialistes en géopolitique et connaisseur de l’Arctique avec le canadien de l’Université de Laval, Frédéric Lasserre.
Hervé Baudu (ENSM, avec la contribution d’Airbus)