La fonte de la banquise dans l’océan Arctique s’est accélérée ces dernières années ouvrant de nouvelles perspectives pour l’ouverture de routes maritimes, la pêche et le développement de prospections offshore. Toutefois la connaissance du milieu arctique et de son évolution liée au réchauffement climatique reste encore très incomplète et nécessite une attention continue de la communauté scientifique pour en comprendre les mécanismes et les effets sur le climat dans le reste du monde.
Cette augmentation des activités et de la présence humaine dans cette région difficile et au climat souvent hostile exige une préparation et un entraînement pour les personnels appelés à s’y déployer.
Le passé montre en effet qu’un imprévu peut rapidement dégénérer en une situation incontrôlable provoquant des dommages difficilement gérables avec les moyens civils ou militaires d’un seul pays. Une action coordonnée de plusieurs États sera dès lors nécessaire pour venir à bout des problèmes de sécurité les plus graves, ce qui implique que les équipes, qu’elles soient scientifiques ou militaires, qu’elles appartiennent à des entreprises ou à des unités de garde-côtes, aient été entrainées ensemble ou aient bénéficié d’un cursus commun. La coopération et la mise en commun des connaissances et de certains savoir-faire apparaissent donc indispensables.
Les plus qualifiés pour conduire cet entraînement sont les communautés indigènes et les populations vivant dans les régions arctiques. Le pluriel est ici nécessaire, car les conditions dans l’Arctique ne sont pas uniformes avec des approches culturelles différentes. Ceci conduit à privilégier le maintien de plusieurs centres de formation dans les différents pays.
L’Islande mise à part, tous les pays arctiques possèdent leurs propres centres d’entraînement répondant à leurs besoins nationaux avec des capacités d’accueil limitées. Ils organisent aussi des exercices multinationaux dans le cadre de l’OTAN ou de la région, incluant l’utilisation de champs de tirs. L’Allemagne, l’Espagne, la France et l’Italie ont aussi des centres d’entraînement en montagne qui offrent des conditions d’entraînement réalistes en condition froide, mais pas en conditions arctiques.
Le tableau suivant fait état des principaux centres existant dans les pays européens :
- Centres d’entraînement en Europe (conditions grand froid et/ou arctiques)
Pays | Centres d’entraînement |
Danemark et Groenland | Air Force Training Centre, Arctic survival for aircrew
Joint Operational Command, initial education of personnel to AC facilities and units, winter training for external personnel, Sirius patrol training |
Finlande | Army – Regiments’ level cold weather basic training for conscripts, Jaeger Brigade cold weather advanced course, SERE, survival training for helicopter pilot. Rovajärvi training centre, Artillery practice range.
Naval Academy, Ice navigation training Air Force, flying under icing conditions |
Norvège | Army Land Warfare Centre, winter conditions leadership and training, firing ranges
Navy, training areas and firing ranges Air Force, training areas and firing ranges |
Suède | Army, training in Arctic and sub-Arctic conditions, firing and training ranges
Navy, diving and naval medicine training centre Air Force, guided weapons range SERE School – Life Regiment Hussars in Karlsborg. |
Allemagne | Army, School of Mountain and Winter Warfare, Mittenwald |
Espagne | Army’s High Mountain and Special Operations Training Centre in Jaca, Huesca (the Pyrenees). |
France | Armée, École militaire de haute montagne / Groupe militaire de haute montagne (EMHM/GMHM), basés à Chamonix : entraînement au combat en conditions montagneuses et Grand Froid.
Le Peloton de gendarmerie de haute montagne (PGHM) est également basé à Chamonix. |
Italie | Army Military Mountain School, Aosta, with training centres in Valle d’Aosta, Val Pusteria (Alto Adige) for mountain warfare and survival, Bolzano (METEOMONT training). |
Les États-membres de l’UE entrainent aussi leurs forces au Canada, aux États-Unis, en Argentine, au Chili et en Nouvelle-Zélande.
Il serait utile d’envisager trois niveaux de formation/entraînement. Outre ce qu’il est classiquement convenu de désigner par l’entraînement de base et l’entraînement opérationnel ou avancé, un troisième niveau dédié aux responsables et aux officiers supérieurs ou généraux en charge d’un commandement semblerait utile pour une approche commune des problèmes posés et une connaissance mutuelle.
- Scénarios en arctique et besoins d’entraînement
SCENARIOS Probabilité/Impact | Description | Type de risques | Besoins d’entraînement |
Exploitation illégale des ressources (IUU) Faible/Moyen | Pêcheurs en pêche illégale IUU | Diminution de la ressource.
Risque de confrontation |
Surveillance (Air & Mer), visite, intervention (Mer) |
Désastre industriel (Pétrole & Gaz) offshore ou à terre Moyen/Elevé | Accident sur une plate-forme offshore ou un réservoir (feu, explosion de pipeline)
Dérive d’une plate-forme de forage, naufrage |
SAR, Pollution
Danger pour la navigation, pollution |
Search & Rescue (civ-mil)
Entraînement à la lutte contre la pollution par hydrocarbures (civ-mil). Remorquage (civ-mil). Sauvetage d’un navire (remorquage) (civ). |
Naufrage d’un navire de croisière
Faible/Elevé |
Un navire de croisière avec un millier de passagers à bord coule ou s’échoue ou est détruit par un incendie. | SAR (urgence)
Pollution Danger pour la navigation |
Search & Rescue (civ-mil)
Entraînement à la lutte contre la pollution d’hydrocarbures (civ-mil). Sauvetage de navire (civ). |
Accident nucléaire
Faible/Très élevé |
Brise-glace nucléaire échoué ou détruit par un incendie. Forte radio-activité. | SAR
Radio-activité Pollution |
Search & Rescue (civ-mil)
Entraînement NBC (civ-mil) |
Attaque terroriste
Très faible/Elevé |
Attaque terroriste sur un navire à passagers, prise d’otages. Attaque terroriste sur une plate-forme pétrolière/gaz. | Vie des otages et de l’équipage
Vie des personnels et pollution |
Commandos (mil).
Commandos (mil) Entraînement à la lutte contre la pollution (civ-mil). |
Interdiction d’accès à la zone maritime (Sea Denial)
Moyen/Elevé |
Zone de pêche réservée unilatéralement. Déni de liberté de navigation. | Fragilise le Droit de la Mer | Protection des pêcheurs (civ-mil) |
Vulnérabilité des Communications
Moyen/Moyen |
Coupure de câbles
Cyber attack Jamming |
Perte de réseau bancaire et des échanges financiers. Vol de données. | Cyber protection (civ-mil)
Contrôle des communications (civ-mil) Solutions de secours (civ-mil) |
Accident d’avion
Moyen/Moyen |
Accident d’avion dans une zone déserte (banquise ou toundra) | SAR | SAR (Civ-mil) |
Il apparaît ainsi que les deux besoins d’entraînements prioritaires – confirmés par les experts régionaux et par les décisions du Conseil de l’Arctique – sont le SAR et la lutte contre la pollution. Les aspects culturels ne doivent pas être sous-estimés. Les différences de langage et de compréhension, même entre les populations indigènes, doivent être connues et prises en compte.
L’entraînement en conditions grand froid qui met l’accent sur l’expérience et la résilience individuelles limite le nombre de personnels dans chaque cours. Le ratio d’un instructeur pour huit élèves est considéré comme un maximum. De plus, les périodes de grand froid sont, elles aussi, limitées à 5 mois par an. Les coûts de formation dans ces zones éloignées sont également élevés.
Au vu de ces considérations, le schéma possible pour une formation grand froid qui s’adresserait à l’ensemble des intéressés pourrait comprendre les étapes suivantes :
- L’entraînement de base qui serait réalisé dans les centres nationaux des pays qui en disposent, ouverts, selon les besoins, à tous les intéressés, civils ou militaires. En parallèle de l’ATP17 Naval Arctic Manual (non classifié), une documentation européenne commune permettrait de renforcer l’interopérabilité et la compréhension mutuelles. Elle prendrait en compte les avancées de la connaissance arctique par les scientifiques dispensées par les centres de recherche à travers le réseau Polar-Net.
A l’issue, une courte période en zone arctique, comprenant un stage de survie, permettrait de valider cette formation.
Pour la Marine, les exigences du Code Polaire – deux mois de navigation en conditions arctiques dans les 5 dernières années pour les Commandants et les Seconds – impliquent de passer un accord avec l’un des pays arctiques sous la forme d’un échange d’officiers. Le simulateur de l’ENSM Marseille permet une préparation préalable des personnels de la Marine civile et militaire.
Pour les pilotes et équipages d’aéronefs des stages de survie en zone grand froid sont à programmer de façon régulière.
- L’entraînement avancé et spécifique, plutôt réservé aux formateurs et aux experts, nécessite d’être réalisé en zone arctique.
La participation aux exercices dans le Grand Nord (régionaux ou OTAN) doit être recherchée de façon à entretenir les savoir-faire. Les coûts induits importants du transport des véhicules dans les zones d’entraînement pourraient être limités par la mise en commun d’un parc dédié et utilisé par les pays contributeurs et loué aux non-contributeurs.
Des exercices engageant la participation de civils et de militaires et répondant aux scénarios prioritaires présentés précédemment doivent être programmés au niveau européen.
L’organisation de cet entraînement et des exercices pourrait être confié à NORDEFCO.